J.D. ça J.D. rien

Par La Bienveillante @Ema_Dellorto

Bret Easton Ellis sur Tweeter, “Yeah!! Thank God he’s finally dead. I’ve been waiting for this day for-f - - - ing ever. Party tonight!”

(qu'on pourrait traduire par : « Ouais !! Dieu merci, il est enfin mort. J'attends ce jour depuis un bail. Ce soir, c'est la fête ! » ou "Super!! Merci mon Dieu il a fini par mourir. J'attendais ce putain de moment depuis toujours. Ce soir c'est la fête!!! ou « Super ! ! Enfin, il est mort ! Merde, j'ai attendu cet instant depuis toujours ! Champagne ce soir ! ! »)

Donc, mort de J.D. Salinger.

Bien sûr, l'interrogation renaît à chaque hiver rigoureux  : que font les canards du bois de vincennes lorsque le lac gèle ? 

Mais, ma vraie passion, c'est la famille Glass. Celle de "Dressez haut la poutre maîtresse, charpentiers", "Seymour : une introduction" (un brin chiant), "Franny et Zooey", de "Un jour rêvé pour le poisson banane", "En bas sur le canot" et "Oncle déglingué au Connecticut ( 3 nouvelles parmi les nouvelles). 

Ce sont des fragments épars que l'on reconstitue lorsqu'on devient toqué de cette famille.

[chronologie exacte de leur vie ici]

Dans la famille, il y a Seymour, Buddy, Boo Boo (Béatrice), les jumeaux Walt et Waker, Zooey et enfin Franny.

Franny

Ou Franny

Les Glass sont les vrais TENENbaum (Boo Boo Glass est en effet l'épouse d'un TANNENbaum).

7 enfants surdoués. Des bribes de leur enfance sont évoquées de-ci de-là. Ils ont participé à une émission radio de petits génies qu'ils ont trustée les uns après les autres, "it's a wise child". Le présentateur était un idiot, qui pouvait douter que Franny puisse vraiment voler. Mais puisqu'elle retombait avec de la poussière au bout des doigts, aimant toucher les ampoules lors de ces promenades ??? Des enfants prompts à abandonner à un autre enfant le vélo qu'ils viennent de recevoir à leur anniversaire s'il en fait la demande.

Le vrai bon ordre pour découvrir la famille est :

"Dressez haut la poutre maîtresse...", le mariage de l'ainé pendant la seconde guerre mondiale. Buddy, le cadet, y est pris à partie par une belle-famille troublée par le futur marié, Seymour. Pour détendre l'atmosphère, on apprend à réaliser des Tom Collins, notre bon vieux Gin Fizz. Pendant ce temps, Boo Boo part sur le front avec un amiral et Franny a la varicelle.

La fiancée de Walt évoque son amoureux disparu dans "Oncle déglingué...".

"Un jour rêvé..." retrouve Seymour et sa douce Muriel en vacances.

Buddy écrit sur son grand frère dans la nouvelle éponyme (une introduction).

Boo Boo essaie de sortir son jeune fils du canot dans lequel il s'est réfugié dans "En bas sur le canot". Lequel balance les lunettes de plongée de feu Seymour dans le lac.

Enfin, l'épilogue avec Franny puis Zooey, partagés entre l'amour pour leurs deux frères et l'amertume face à ce que Seymour et Buddy ont fait d'eux, des monstres torturés.

(Franny avec au bout du fil Zooey, sur l'autre récepteur de l'appartement, alors qu'il tente de se faire passer pour son frère Buddy, afin de la réconforter)

Le parcours de ces enfants est à l'image des sentiments de Salinger qui semble écoeuré par son génie. Comment rester quelqu'un de bien lorsque vous devenez célèbre et célébré par un livre qui dénonce le contentement de soi ?

Il s'est retiré de la vie littéraire, a embrassé la religion taoïste mais n'aurait pas réussi à devenir une bonne personne. Il serait même pire que ça.

Pour Vila-Matas, Salinger fait partie de la confrérie des "écrivains du non" en compagnie de Kafka, Walser, Hölderlin, B.Traven, Rulfo, Hofmannsthal, Beckett, Marbœuf, Rimbaud et Bazlen.

Parce que l'élégant pouvoir de renoncer à sa création apparaît comme supérieur à la pulsion de créer.

Des "écrivains fantômes", tels Blanchot et Pynchon

Il faut sans doute une sacrée force de caractère pour résister à la notoriété, ne pas jouir de son prestige et de l'adulation que l'on suscite. Celle des écrivains n'est pas la moindre. 

Il a été une inspiration pour nombre d'entre eux : Une suite merdique de L'attrape-coeur. La fascination de Djian, de Beigbeder. Une Sarah Vajda. Même Marie Darrieussecq ? Eve Almassy et le personnage de Sybil dans "Un jour rêvé..." ; Ce même "Jour rêvé..." pour les Nuages de Tabucchi. "Dans Paris", de Christophe Honoré.

Ce ne fut pas toujours le cas : "de John Updike à Norman Mailer en passant par John Steinbeck, George Steiner, Mary McCarthy ou Katherine Anne Porter, c'est à qui vilipendera le plus l'auteur et ses œuvres : il ne sait pas écrire, il ne rédige que de "prétentieux divertissements", il n'a aucune maturité, il est une sorte d' "industrie" à lui tout seul, "un homme sandwich"... "

Norman Mailer de Salinger : "c'est le plus grand esprit qui soit resté au niveau de l'école secondaire". Jaloux du prestige dont jouit toujours l'écrivain ? En tout cas il l'interpelle :

«Il est temps que Salinger revienne à la ville, qu'il se salisse les mains en les trempant dans la corruption et la violence, car les éléments qui faisaient sa force et sa réputation, son refus absolu des mass media et de la société commencent à se retourner contre lui. Il y a un arrière-goût de narcissisme, d'auto-contemplation et même de putréfaction dans cette éternelle contemplation d'un nombril parfaitement lisse.»

En 2002, plusieurs intellectuels américains lui écrivent des lettres pour le décider à revenir. Un exercice de style auquel il a dû être indifférent.

Alors, sa mort serait une bonne nouvelle. Parce que l'espoir qu'elle soit suivie de publications inédites n'est pas insensé. 

Je crains cependant que ces écrits soient truffés de religiosité. Je ne l'aime pas zen. En revanche, il m'émeut terriblement lorsqu'il effleure le thème de la guerre. La seconde. D'après sa fille, c'est à cette époque que «quelque chose de très humain s'est brièvement épanoui avant de se faner».

Il pose une vraie bonne question : Peut-on revenir de la guerre "avec toutes ses facultés intactes" (dans la nouvelle "Pour Esmé, avec amour et abjection") ?

Cette idée me plaît parce qu'on peut être certain qu'il est impossible de revenir de la guerre "avec toutes ses facultés intactes" mais ce qui demeure mystérieux, c'est la substance de ces "facultés" avant qu'elles aient été endommagées.

Quelles qu'aient été les siennes, il les a malmenées en débarquant à Utah Beach un 6 juin et en poursuivant un périple à travers l'Allemagne qui se défait, témoin et acteur de la dénazification, Dachau. Ensuite : Internement pour Effondrement Psychique à Nuremberg. Le procès aussi. Mariage avec une Allemande possiblement Nazie. Divorce s'ensuit. 

Notre chantre de l'adolescence était un soldat qui se tenait prêt pour la prochaine guerre avec les esquimaux.

Alors, Norman, son esprit était resté bloqué sur un campus, ou dans un camp ?