Dominique Fernandez, La course à l'abîme

Par Alain Bagnoud

Le Caravage devait intéresser Dominique Fernandez. Il a quelques traits communs avec l'autre grande figure tutélaire de l'écrivain: Pier Paolo Pasolini, dont l'histoire nourrit Dans la main de l'ange, Prix Goncourt 1982. Tous deux sont artistes en rupture, provocateurs, marginaux-né, homosexuels, tous deux sont morts sur une plage, l'un assassiné par un gigolo, l'autre on ne sait pas.
On ne sait pas grand chose du Caravage, d'ailleurs. Dominique Fernandez invente donc sa vie en utilisant une érudition bien amenée. Ça prend d'abord bien. Restitution d'une époque, enjeux politiques et culturels, questions de peinture.Mais au milieu du livre (j'en ai lu quand même 300 pages sur les 650), j'ai abandonné, lassé. D'abord parce que Fernandez, voulant établir un contraste savoureux avec les gloses savantes citées dans le livre, n'explique les tableaux du Caravage que par rapport à ses ébats amoureux, chaque toile révélant un épisode de sa sexualité. Pour expliquer l'expression d'un visage ou la raison d'un vêtement, il phantasme une scène intime. Une jalousie de l'amant a fourni l'expression de la tête de Méduse. Un drap de lit taché de sperme est le vêtement de Bacchus. Le garçon qui épluche une pomme n'a pas de boutons à sa chemise parce que Le Caravage les a arrachés dans la fureur des transports qui ont précédé la peinture. Etc.
D'autre part, ce peintre dont il annonce une vie de scandales et d'aventures, devient sous sa plume tout à fait pépère. Il a des amants plus jeunes que lui avec lesquels il entretient de longues relations matrimoniales. Mais l'interdit de l'homosexualité, le clandestin de la chose, le danger, qui excitent beaucoup Dominique Fernandez, ne m'ont pas tenu autant en haleine qu'il le voudrait.
Mais il est vrai que ça peut encore s'animer dans les 350 pages qui suivent...

Dominique Fernandez, La course à l'abîme, Grasset, 2002