Un certain Monsieur Blot

Par Jfjeanne1957
Dessin de couverture : Jean Feldman

Hachette 1960


Second plus gros succès de Pierre Daninos et considéré par beaucoup comme son meilleur livre, un certain Monsieur Blot raconte l’histoire d’un français ordinaire qui remporte un concours organisé par un grand quotidien et passe du jour au lendemain de l’anonymat à la célébrité. C’est l’occasion pour l’écrivain de brosser un tableau souvent drôle, parfois cruel, toujours juste de la vie quotidienne d’un français des années 60. Tout y passe, les us et coutumes dans une grande entreprise, la vie conjugale, les enfants, la politique, les honneurs, jusqu’à l’apprentissage de la célébrité et du beau monde, ce qui donne un portrait acide de la « France d’en haut  » vu par la « France d’en bas ».

Sur la forme, ce livre s’apparente à un journal de bord (des carnets) livrant au jour le jour les réflexions et les aventures de Paul Blot, 45 ans, actuaire dans une compagnie d’assurances, qui participe au grand concours du français moyen. Il s’agit de répondre à un questionnaire détaillé couvrant tous les aspects de la vie quotidienne (Métier, femme, enfant, loisirs). Analysé par ordinateur, les réponses permettront d’établir le profil du français moyen et de couronner celui qui s’en approche le plus. En marge du questionnaire et des réponses laconiques qu‘il exige, Monsieur Blot détaille sa propre vision du monde, raconte les hauts et les bas de sa vie conjugale, sa difficulté à exister et ses rapports parfois difficiles avec certains de ses compatriotes. La victoire, qu’il n’espérait pas, le propulse dans un monde à part, celui des grosses fortunes, du Tout Paris, et lui vaut la jalousie de ses anciens collègues qui le voit réussir et les moqueries des snobs auxquels il essaie en vain de ressembler. Il retrouvera finalement après quelque mois un anonymat et une vie modeste qui lui conviennent bien mieux.

Comme toujours chez Daninos, même s’il s’agit d’un roman, le livre emprunte beaucoup à l’expérience de son auteur qui a croisé au Figaro un patron ressemblant à s’y méprendre au Stumpf-Quichelier de Monsieur Blot, qui est passé avec les Carnets du Major Thompson de l’anonymat à une célébrité internationale et qui a connu lui aussi quelques orages dans sa vie conjugale.

Formidable galerie de personnages, ce livre regorge de bons mots, de formules choc et mélange à proportion égale humour et réflexions douces amères sur le temps qui passe, l’amour et les revers du succès.

Morceaux choisis:

Sur le couple:

Notre ménage est à l’image de millions d’autres qui vont tantôt bien, tantôt mal. Je pense à ceux dont les faits divers disent: « On les entendait souvent se disputer …» En fait, depuis vingt ans, notre ménage n’a été secoué que par quelques petits orages - et un seul grand. Oui… il y a eu une femme dans ma vie, et comme pour tous les hommes dont on dit: « Il y a une femme dans sa vie », ce n’était pas la mienne.

Sur les scènes de ménage:

« - Tous les hommes ont un jour ou l’autre besoin… 

- Besoin de quoi? De tout f… en l‘air? Mais si, dis-le! Dis-le puisque c’est ça que tu veux! Abandonnes-nous! Fous le camp puisque c’est ça que tu désires! Puisque cette fille aura réussi à détruire notre foyer! Je ferai n’importe quoi… des ménages!

- Chérie! »

Pourquoi des ménages? (Et d’ailleurs pourquoi Chérie?) Thérèse, comme les autres, serait capable de faire beaucoup de choses moins rebutantes, plus rémunératrices, plus dignes aussi. Mais, comme les autres, elle crie qu’elle fera n’importe quoi: des ménages! Car il y a dans l’évocation de ce délabrement, dans le mot même de ménages, quelque choses de misérable qui provoque l’attendrissement des maris et fouette leur amour-propre…

Tout comme les ménages, détruire un foyer fait image. On voit les affiches noires et rouges de la guerre, l’exode (Emprunt national. Souscrivez!), la femme en châle poussant une misérable charrette où hurle un bébé et fuyant le pays en feu. Si les femmes semblent attirées par l’image du « foyer détruit », c’est qu’elles sont en amour ce que les hommes sont en affaires: elles veulent construire.

Sur l’argent.

Je ne suis pas bête pour deux sous. Mais pour un million, je deviens complètement idiot.


Accueil du livre:

Très bien noté par la critique (« Il contient des observations sur l’homme de notre temps qui dépassent considérablement les procédés de l’humour » écrit Le Monde), ce livre fut aussi un succès populaire (450 000 exemplaires) et donna lieu à une adaptation au théâtre par Robert Rocca.