Zapat'héros

Publié le 12 novembre 2007 par Roman Bernard

Dans le genre "je sais que tout le monde en a déjà parlé, mais...", il y a la vidéo du 17e sommet ibéro-américain, qui s'est terminé samedi dernier à Santiago du Chili. Pour ceux qui ne l'auraient pas encore visionnée, on y voit le président vénézuélien Hugo Chavez invectiver la délégation espagnole constituée par le roi Juan Carlos et le chef du gouvernement socialiste, Jose Luis Zapatero. Le chantre de l'antilibéralisme qualifie l'ancien chef du gouvernement conservateur, Jose Maria Aznar, de "fasciste", pour avoir soutenu la tentative de renversement contre lui, en 2002. Devant l'incapacité de M. Zapatero à raisonner M. Chavez, qui n'hésite pas à dire qu'"un fasciste n'est pas humain, un serpent est plus humain qu'un fasciste" (est-ce vraiment Bush, l'"ennemi public n°1" ?), le roi Juan Carlos, lui qui a justement prononcé le divorce entre l'Espagne et le franquisme, en 1975, s'emporte et l'interrompt : "¿ Por qué no te callas ?" ("Pourquoi ne te tais-tu pas ?").
Nous sommes tous avides de "petites phrases" et c'est naturellement surtout celle-ci qui a été retenue de cette longue altercation. Pourtant, le fait le plus remarquable ici, c'est davantage la dignité de Jose Luis Zapatero, qui défend non seulement l'Espagne et ses institutions, rappelant que son prédécesseur a été élu démocratiquement, mais aussi le seul principe du respect des gouvernements démocratiques dans un contexte international.
Les propos simples, clairs, sincères du chef du gouvernement espagnol traduisent aussi la maturité démocratique de l'Espagne, où l'alternance est synonyme de continuité. Même si les divergences sont très marquées entre socialistes et conservateurs en Espagne, peut-être davantage qu'en France, Jose Luis Zapatero assume l'action de son prédécesseur en tant qu'elle procédait de la même légitimité que celle qui est la sienne aujourd'hui.
"Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-délà" ou pas, la France ne donne pas le même exemple, lorsque les socialistes se rendent à Alger pour s'excuser, au nom du gouvernement français dont ils n'assument pas la charge, des crimes commis par la France lors de la guerre d'Algérie -ont-ils demandé aussi au gouvernement algérien de s'excuser des crimes du FLN ?-, tandis que Nicolas Sarkozy, qui appartenait pourtant au même gouvernement que Dominique de Villepin, est allé s'excuser de l'"arrogance" de ce dernier lorsque l'ancien ministre des Affaires étrangères avait refusé que l'ONU donne sa bénédiction à l'invasion anglo-américaine de l'Irak, en 2003.
Cette vidéo devrait à mon sens donner trois autres leçons aux Français :
- Si vous n'avez jamais étudié le castillan et que vous avez réussi à comprendre l'essentiel de l'altercation, vous vous dites peut-être, comme moi, que les langues romanes sont vraiment proches et qu'il y a sans doute quelque chose à faire au niveau éducatif : pourquoi se forcer à apprendre l'allemand, langue parlée seulement en Europe et pas indispensable outre-Rhin puisque l'on y parle très bien l'anglais, et pas le castillan, l'italien, le portugais, voire le roumain, langues proches et, dans le cas du castillan et du portugais, utiles au niveau international ? Bien que Français du Nord, je suis un défenseur de la latinité de la France et j'estime, en outre, que l'étude d'autres langues issues du latin permettrait d'enrichir la nôtre. L'Union latine, qui favoriserait cela, gagnerait à être davantage promue en France.
- La fermeté de M. Zapatero face à l'outrance d'Hugo Chavez prouve une fois de plus qu'aucune entente n'est possible entre la gauche sociale-démocrate et la gauche antilibérale. Là encore, le PS pourrait s'inspirer de son homologue espagnol.
- Le comportement d'Hugo Chavez, qui compte au nombre de ses prétentions celle de marcher dans les pas du libertador Simon Bolivar, vise moins Jose Maria Aznar, qui n'a plus aucune importance politique, que l'ancienne puissance coloniale. Pourtant, l'importance des décisions prises lors de ce sommet (lutte contre la pauvreté, renforcement de la coopération régionale, signature d'un accord permettant aux travailleurs migrants de transférer leurs prestations de sécurité sociale entre pays ibéro-américains), comme de celles prises lors des sommets du Commonwealth, prouve que l'Espagne, le Portugal, l'Angleterre, ont réussi la décolonisation, au contraire de la France. Il est vrai que des quatre grands colonisateurs de l'Amérique, la France est de loin la moins bien lotie, avec seul le petit Québec, sous la tutelle des Anglo-Saxons d'Ottawa, pour défendre son héritage, ce qui limite évidemment les possibilités d'influence américaine de la France. Mais même avec les contrées où elle fut très présente, la France n'a pas su garder de bonnes relations. Il ne me semble pas, pourtant, qu'elle ait été plus dure en Algérie que le Portugal en Angola, l'Angleterre en Inde ou l'Espagne en Amérique latine. De bonnes relations avec les anciennes colonies seraient pourtant nécessaires pour que la France, en plus de l'Europe et de l'OTAN, trouve un troisième levier pour faire entendre sa voix au niveau international. Pour que la France et les pays francophones d'Afrique noire et du Maghreb puissent agir ensemble sur un pied d'égalité, et éviter ainsi toute dérive néo-coloniale, l'Organisation internationale de la Francophonie, pour peu que les Français arrêtent de la regarder avec dérision et scepticisme, serait assurément un vecteur important d'une mondialisation moins dominée par le Nord, moins asymétrique et surtout plus ouverte à la diversité.


¿Por qué no te callas?
envoyé par joraupa