La musique péruvienne - Cumbia et chicha

Publié le 10 février 2010 par Boebis @bonjoursamba

Aux sources de la cumbia péruvienne

La cumbia est au départ un genre traditionnel colombien qui prend sa forme moderne dans les années 50. Il s'exporte rapidement dans toute l'Amérique du sud avec des groupes comme Los Corraleros de Majagual ou la Sonora Dinamita. Le genre n'est injustement connu en France que comme celui de la vieille pub nescafé alors que c'est l'un des plus riches et passionnant d'Amérique du Sud. A l'époque, ça ressemblait à ça: Los Corraleros de Majagual - Gûepaje
Pochette d'un album des Destellos La révolution vient du jeune guitariste Enrique Delgado qui fonde en 1966 Los Destellos. Il reprend les lignes de basse typique de la cumbia mais remplace l'accordéon colombien par la guitare électrique. La jeu de la guitare puise directement dans le rock psychédélique de l'époque. On retrouve également l'influence de la musique criolla, de la nova ola et de la guaracha cubaine pour les percussions. La cumbia peruana est née.
Los Destellos - Tú Dónde Estás, une chanson épique plus rock et nova ola que cumbia qui montre bien les influences non cumbia du groupe.
Quelques classiques des Destellos:
Los Destellos - Jardín de amor

Los Destellos - Muchachita celosa

De très nombreux groupes se mettent à jouer cette cumbia péruvienne. Parmi les meilleurs, on peut citer los Hijos del Sol, los Diablos Rojos, los Pakines et los Ecos.
Los Hijos del Sol - Mi cariñito

Los Ecos - Lloras

Juaneco y su combo, fiers de venir de la forêt!
De la forêt amazonienne péruvienne à l'époque en plein boom pétrolier, quelques groupes passionnants se mettent également à en jouer. Les titres reflètent leur provenance: sonido amazonico, milagro verde, la danza del petrolero... On peut parfois entendre l'influence du Brésil voisin ou de la musique traditionnelle d'Amazonie. Juaneco y Su combo - Mujer hilandera.

Los Mirlos - Lamento en la selva

De la cumbia à la chicha

La cumbia originelle était déjà influencée par le huyano andin. Cependant, c'est vers la fin des années 1970 que s'opère la véritable fusion cumbia-huyano dans le contexte de l'augmentation des migrants des villages andins vers Lima. L'influence du huyano est particulièrement nette niveau du chant. On sent également l'influence des années 80 dans la production ou la présence des synthétiseurs.
Soy provinciano de Chacalón devient l'hymne de tous les provinciaux s'étant installés à Lima: "Je suis un provincial, je me lève très tôt pour aller travailler avec mes amis. Je n'ai ni père ni mère, ni un chien à mes côtés. Je n'ai que l'espoir de progresser. Je cherche un nouveau chemin dans cette ville où tout est argent et méchanceté. Avec l'aide de Dieu, je sais que je triompherai et avec toi mon amour, je serai heureux, oh je serai heureux."
Chacalón - Soy provinciano (1978)


A cette époque, on commence à appeler la cumbia péruvienne chicha. Aujourd'hui les deux noms sont pratiquement devenus synonymes même si on utilise plutôt "cumbia peruana" pour la vieille cumbia tandis que chicha se réfère plus à son évolution. On l'appelle également chicha andina pour montrer l'influence du huyano andin. Le terme chicha signifie également "mauvais goût" et reflète un peu l'image de ce genre méprisé. Il était (et est) considéré par les liméens comme de la musique de provincial tandis qu'eux (bien que souvent eux aussi descendant de migrants andins) écoutaient plutôt de la salsa à l'époque et aujourd'hui du rock ou du reggaeton.
La chicha explose commercialement avec les tubes de los Shapis au début des années 80. Les succès s'enchainent même si la qualité n'est plus toujours au rendez vous. Los Shapis - El Aguajal (1981)
La mouvance commerciale s'accentue encore avec la tecnocumbia dans les années 1990, genre qui n'a d'ailleurs pas grand chose à voir avec la techno. Ce style est influencé par le mouvement mexicain du même nom, avec de fortes doses de clavier et batterie synthétiques, chorégraphies et danseuses en bikini (ces dernières étant néanmoins présentes dans à peu près tous les styles de cumbia). La star péruvienne du genre s'appelle Rossy War (attention ça pique les yeux).

Un autre groupe important des années 1990 est Grupo Néctar dont les membres moururent en 2007 dans un accident de bus.

Les affiches flashy typiques de la chicha.

La cumbia péruvienne aujourd'hui et ailleurs

La cumbia péruvienne est aujourd'hui le genre le plus populaire du Pérou. Par exemple, selon un sondage de 2009, 46% des liméens considèrent que c'est le style le plus représentatif de leur ville.  Le genre qui dans les années 70-80 était écouté par les migrants provinciaux a conquit  la classe moyenne. Aujourd'hui les stars actuelles de la chicha s'appellent Caribeños de Guadalupe, Hermanos Yaipén et surtout Grupo 5 et viennent curieusement pour la plupart du Nord du Pérou. Ils pondent des tubes festifs et romantiques qui sont les seuls titres péruviens à prétendre concurrencer latin pop, merengue et reggaeton en boîte de nuit. Grupo 5 sont tellement populaires qu'ils ont même une telenovela et un film qui leur sont consacrés!
Grupo 5 - Motor y motivo. Kitch mais imparable


La cumbia péruvienne a toujours eu un petit mais succès dans le reste de l'Amérique latine. Il a influencé la cumbia argentine (cumbia villera) via la diaspora péruvienne installée à Buenos Aires mais aussi la cumbia colombienne avec par exemple le groupe Afrosound.  
La cumbia péruvienne qui fut pendant longtemps méprisé commence à devenir plus respectable. L'anathème s'est en quelque sorte déplacé sur la chicha. Ainsi en 2008 le groupe  péruvien branché Bareto a fait un album remarqué de reprises des classiques de la cumbia avec un petit côté ska. En 2007, le mini label américain Barbès (créé par un français ce qui explique le nom) a sorti une compilation remarquée "The Roots of Chicha: psychedelic cumbias from Peru". Enfin, en 2009 plusieurs titres de Los Destellos sont inclus dans le bande originale du film péruvien Fausta, la Teta Asustada, nominé aux oscars. Bilan de tout ça: 40 ans après sa création, il est désormais possible de trouver de la cumbia péruvienne chez un disquaire français.
Le dernier épisode de l'aventure cumbia est certainement l'avènement bouillonnant de la neo-cumbia (ou cumbia nueva). Il s'agit de la cumbia revisitée par la culture DJ dans la mouvance "global-ghettotech" avec des DJ comme DJ Taz, El hijo de la cumbia, Sonido Martines, Oro11. Une sorte de relecture hype de ce genre snobbé pendant des décennies. Le jeune mouvement n'a pas encore pris au Pérou, mais on voit parfois poindre des remix neo-cumbia de classiques péruviens. Ici, le classique Elsa de Los Destellos par Sonido Martines. Excellent!




Zizek, club de Buenos Aires où est né la Nueva Cumbia
Pour aller plus loin, quelques articles et blogs que je vous conseille:

Latin but cool, très bons articles sur la neo-cumbia, en anglais. A voir aussi radiocanalh et le goûter, en français. Article très pointu de Jaime Bailon
Grandes de la cumbia peruana
La capital de la cumbia
Article de Peru21
La sélection cumbia-chicha de Amigos de Villa Cumbia / Chicha sur Apellidosperuanos
Bon Article sur larepublica.pe
Article sur la chicha, en français

La discographie disponible en France se limite à The Roots of Chicha: psychedelic cumbias from Peru qui se concentre sur la cumbia des années 70. Une petite merveille de compilation dont j'ai pris soin de n'inclure aucun titre sur cette page ce qui rend son acquisition encore plus indispensable. Une suite devrait sortir en 2010. Barbès a également sorti un excellent album solo de Juaneco Y su Combo. Ils ont même sorti un disque de reprises made in US sous le nom de Chicha Libre, (un peu comme Dengue fever pour la pop cambodgienne). Ca ne vaut -évidemment - pas les originaux mais leur reprise de l'été indien de Joe Dassin en cumbia péruvienne est marrante.