Il y a une telle continuité dans les cinquante années de photographie de Lisette Model (au Jeu de Paume jusqu’au 6 juin), une telle consistance entre ses photographies qu’on ne cesse d’établir des comparaisons, des similitudes, des thématiques. Et on passe d’une série de jambes à une série de têtes, à des baigneurs puis à des noctambules, à des pauvres puis à des riches. Elle semble porter sur le monde un regard à la fois curieux et distant : moins d’empathie pour ses sujets que son élève Diane Arbus, moins de proximité que les humanistes français. Sa série sur les bourgeois en villégiature sur la Côte d’Azur (Promenade des Anglais, en 1934) était un matériau brut assez malléable pour pouvoir servir d’illustration d’abord à une violente critique communiste de la bourgeoisie (dans Regards en 1935*), puis à un prêche moraliste américain sur la dégénérescence française ayant conduit à la défaite de 40**.
Arrivant à New York en 1938, Lisette Model réalise deux séries plus particulières où, peut-être sous l’influence de ses nouveaux amis américains, elle se lance dans une recherche plus formelle, plus complexe. Les reflets, s’ils s’inspirent bien évidemment d’Atget, ont une modernité, une vibration très ‘Nouveau Monde’. Celui-ci (Reflections, New York, 1939-1945), avec ses ongles élégants et le mannequin androgyne, rajoute une touche de sensualité au paysage urbain. Ce sont en tout cas de belles compositions de montage, pleines de surprises et de hasards.
Longtemps plus connue comme professeur que comme artiste (et l’aura de Diane Arbus rejaillit sur elle), elle avait, semble-t-il, une approche assez classique de la photographie, s’opposant à Susan Sontag comme aux expérimentations de Minor White et ses disciples. Sa photographie, dans la droite ligne de la ‘Street Photography’, plaît, mais ne surprend guère.
* extraits de l’article en anglais sous l’année 1935 sur ce site. ** même site, sous l’année 1941 (Why France Fell)