Réforme de l’audiovisuel public : annulation de la décision du ministre de la Culture d’arrêt de la publicité sur France télévision pour incompétence

Publié le 13 février 2010 par Combatsdh

La lettre de la ministre de la Culture et de la communication du 15 décembre 2008 demandant au PDG de France télévisions « d’envisager de cesser, à partir du 5 janvier 2009, la commercialisation des espaces publicitaires entre 20h00 et 6h00 » - ainsi qu’une délibération du conseil d’administration du lendemain prenant acte de cette décision - sont annulées car elles portent atteinte aux ressources du groupe, éléments de son indépendance, et relèvent donc de la compétence du législateur en vertu de l’article 34 de la Constitution conformément à la décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009 du Conseil constitutionnel.

Le 5 janvier 2009, les spectateurs et contribuables de l’audiovisuel public ont cessé le soir de « regarder la télévision avec publicité » - bonsoir - conformément aux desideratas du président de la République.

Le 19 janvier 2009, Mme Borvo, ainsi que d’autres de ses collègues sénateurs (Jack Ralite, etc.), ont déféré à la censure du Conseil d’Etat ces deux décisions.

Le référé-suspension introduit parallèlement fut rejeté assez curieusement pour… défaut d’urgence - dès lors que la loi votée par le Parlement, sous réserve de la saisine du Conseil constitutionnel, prévoyait une dotation budgétaire de 450 millions d’euros avait été préalablement votée au bénéfice de France Télévisions afin de compenser les pertes de recettes publicitaires futures (CE, réf., 6 février 2009, Mme BORVO et a., Nos 324238, 324408 voir CPDH 8 février 2009 - curieusement le Conseil d’Etat ne rappelle pas dans son communiqué l’existence de cette ordonnance) - ce qui priva de tout effet utile et d’intérêt la présente décision d’annulation.

Sur la recevabilité, le Conseil d’Etat estime « qu’eu égard à la précision des mesures énoncées et de l’échéance qu’elle fixe pour leur application », la lettre ministérielle « doit être regardée comme comportant une instruction tendant à ce que soient prises les mesures en cause ».

Elle fait donc grief et les requérants ont intérêt à agir contre cette lettre en leur qualité… d’usagers du service public de la télévision (rappelons qu’un parlementaire ne peut invoquer cette qualité pour agir - cf. not. CE, 27 février 1987, Michel Noir - voir ce texte à la RFDC de V. Bertille).

S’agissant de la lettre du 15 décembre 2008, c’est en application d’une disposition de l’article 34 de la Constitution introduite par la révision du 23 juillet 2008 (« La loi fixe les règles concernant : /- les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias (…) ») que le Conseil d’Etat estime la décision de renoncer à la commercialisation des espaces publicitaires dans les programmes de France Télévisions pendant une part substantielle du temps d’antenne comme entachée d’incompétence car elle relève du domaine de la loi.

Sur la délibération du conseil d’administration du 16 décembre 2008:

- le Conseil d’Etat se reconnaît compétent car elle touche à l’organisation même du service public en affectant la garantie des ressources de la société, « lesquelles constituent un élément essentiel pour assurer la réalisation des missions de service public confiées à cette société en vertu des dispositions de l’article 43-11 de la loi du 30 septembre 1986, dont celles de diversité, pluralisme, qualité et innovation dans les programmes mis à disposition des publics » ;

- en qualité, là encore, d’usagers du service public, les requérants ont intérêt à agir contre cette décision et obtiennent l’annulation de la délibération qui s’est borné à prendre acte de la lettre ministérielle illégale et à en confier la mise en œuvre à son président.

Néanmoins, comme le fait remarquer le Conseil d’Etat lui-même dans un communiqué de presse, ces annulations ne sauraient « bien entendu, remettre en cause la mesure décidée par le législateur ». Ainsi, entre le 5 janvier et le 8 mars 2009, date d’entrée en vigueur de la loi, les téléspectateurs de l’audiovisuel public ont regardé, illégalement mais non sans satisfaction, la télévision publique sans publicité entre 20h00 et 6h00.

CE, 11 février 2010, Mme Nicole B. [Borvo] et autres, nos 324233, 324407

> lire le communiqué de presse

Actualités droits-libertés du 12 février 2010 par Serge SLAMA