(Re)conversion

Par Anaïs Valente
L’autre jour, je « discutais » sur MSN avec ma chère collègue Mostèk. Nous parlions de nos âges, lorsqu’elle me dit « ce qui est génial avec toi c'est que j'ai pas l'impression que t'as dix ans de plus j’ai l'impression que t'as le même âge que moi ».
Ce fut donc un jour à marquer d’une pierre blanche, à noter dans vos agendas, parce qu’en général, les mots tendres de Mostèk sont plutôt du genre « attends n’entre pas encore, la voiture est trop près du mur, je vais la bouger, même si tu étais mince tu ne saurais pas passer » (cf ce billet http://le-celibat-ne-passera-pas-par-moi.skynetblogs.be/post/4574663/les-humeurs-danais-13#comments).
Car en effet, Mostèk et moi, on a dix ans de différence.  Elle a dix ans de moins que moi, cette garce, cette vipère, cette vilaine pas belle, cette … jeune !  En d’autres termes, lorsqu’elle gazouillait encore gentiment dans son parc, j’en étais déjà à apprendre la table de multiplication par neuf.  Lorsqu’elle a cessé de mettre des langes, j’étais déjà en secondaires.  Lorsqu’elle mangeait des Délichoc, je les appelais encore Bichoc.  Lorsqu’elle habillait encore sa barbie, je sortais en boîte et je commençais à me débaucher dans l’alcool.  Lorsqu’elle a commencé ses études supérieures au même endroit que moi, ça faisait déjà un sacré bail que je bossais pour patron vénéré.  Lorsqu’elle fut engagée par ledit patron vénéré pour me remplacer durant une longue et pénible maladie (quinze jours – dans le privé, quinze jours d’absence, on appelle ça une longue et pénible maladie), j’ai décidé de la haïr, cette remplaçante, qui me chipait mon boulot et anéantissait pour moi toute l’avancée fulgurante de ma brillantissime carrière.  Puis elle est restée.  Puis elle était cool.  Puis on a sympathisé et voili voilà, maintenant on s’aimeuh (en tout bien tout honneur, of course).
Et elle a raison, Mostèk, moi non plus j’ai pas l’impression qu’elle a dix ans de moins (tout comme j’ai pas non plus cette impression par rapport à mes amies qui en ont dix de plus), elle a pas l’air gamine, ni débile, ni fofolle, ni hystérique.  Je n’ai pas cette impression d’avoir une demi-génération de plus qu’elle, sauf quand je regarde son œil de velour (ou de corbeau, en fonction de son humeur), autour duquel, j’ai beau scruter, je ne vois aucune ride, tandis que le mien est déjà plein de rides d’expression, même si je tente en vain de ne marquer aucune expression sur mon visage depuis ce cap fatidique des 25 ans.  
Sinon, on aime toutes deux les années 80, les mêmes dessins animés et le chocolat.  On aime rire et parler de nos vibros, on aime fantasmer sur les hommes, à la différence près que quand moi je fantasme sur un homme, il pourrait quasi être son père et que ceux sur lesquels elle fantasme me semblent à peine sortis des jupes de leurs mères.
Mais y’a une différence qui me rappelle très souvent notre différence d’âge : c’est l’euro.
Je m’y suis facilement adaptée, à l’euro (ou au neuro, ou encore au zeuro, selon les liaisons que vous aimez faire), habituée que j’étais, depuis des années, à convertir les prix durant toutes mes vacances, et pour toutes mes copines.  Je dois avoir un calculette de conversion en tête, je fais ça les deux doigts dans le nez.
Alors, quand l’euro est arrivé (il est néééé le divin euro, jouez hauts-bois résonnez musettes), no problem pour Anaïs, fingers in the noze.
Sauf que je n’utilise l’euro que lorsque cela me chante, savoir :
Je parle en euro pour minimiser la valeur « Pas chères, mes nouvelles bottes, seulement 149 eur », « Allez, on va au Quick, un chtit menu à 6 eur, alleye pitiééé »
Et je continue à parler en francs belges pour marquer l’importance de la somme « T’as vu le prix de ces bottes, six mille balles, c’est du vol ! »
Et je comprends que Mostèk est bien plus jeune, mais alors là tellement plus jeune que moi, lorsqu’elle me dit « Six mille balles ?  Mais, Anaïs, ça fait combien en euros, dis-moi ? »
Dessin de Sue, que je remercie de s’être prêtée au jeu du billet à illustrer, avec brio (et de vouloir continuer, yahaaaaaaaaaaaa) (et de ne pas m’avoir lynchée virtuellement d’avoir tant traîné à publier son dessin, ce qui est d’ailleurs le cas d’autres illustrateurs, promis, je vais rattraper mon retard).