Le duende

Publié le 18 février 2010 par Ray
Un soir, la Niña de los Peines jouait avec sa voix d'ombre, avec sa voix d'étain fondu, avec sa voix couverte de mousse et l'enroulait à sa chevelure.
Soudain elle se leva comme une folle pour chanter, sans voix, sans souffle, sans nuances, la gorge en feu, mais avec duende. Elle avait réussi à jeter bas l'échafaudage de la chanson, pour livrer passage à un démon furieux et dévorant, frère des vents chargés de sable, sous l'empire de qui le public lacérait ses habits.
La Niña de los Peines dut déchirer sa voix, car elle se savait écoutée de connaisseurs difficiles qui réclamaient une musique pure avec juste assez de corps pour tenir en l'air Elle dut réduire ses moyens, ses chances de sécurité ; autrement dit, elle dut éloigner sa muse et attendre, sans défense, que le duende voulût bien venir engager avec elle le grand corps à corps. Mais alors comme elle chanta ! Sa voix ne jouait plus ; sa voix, à force de douleur et de sincérité, lançait un jet de sang.
Federico Garcia Lorca
Seguiriya
La Niña de los peines
Le Chant du monde
Photo : Françoise Fabian