Alexie (impossibilité de lire)

Publié le 20 février 2010 par Alexm

Je ne parle pas souvent de livres dans ce blog, mais ai décidé de parler d’un livre de biologie en ouvrant une rubrique de biologie – il faut innover dans un blog. Pour la première fois j’ai terminé un livre de biologie, ce qui pour moi comme pour d’autres formés intensément aux maths et à la physique est une prouesse… Il s’agit de l’ouvrage L’Homme-Thermomètre, de Laurent Cohen (Odile Jacob 2003). À travers l’étude d’un cas clinique d’alexie pure (impossibilité de lire), cet ouvrage nous emmène à la découverte de la zone cérébrale de la lecture, jusqu’à la « zone de la forme du mot » (pour les zones cérébrales du langage, différentes, on pourra lire l’article BibNum de Roland Bauchot sur Broca, cf. blog). J’y ai découvert de nombreux points intéressants voire étonnants, en voici un échantillon, en vrac :

1°) l’homme, le chien, le tigre ont les yeux placés côte à côte, avec à peu près le même champ visuel (quand vous fermez un œil, seul un croissant visuel extrême vous échappe). En revanche le lapin, la chèvre ont leurs yeux sur le côté : l’œil droit voit à droite, l’œil gauche à gauche. Il se pourrait que ce soit un effet de la sélection naturelle : les animaux proies ont les yeux sur le côté pour repérer l’attaque d’où qu’elle vienne, les animaux prédateurs ont les yeux devant pour mieux ajuster leur poursuite et leurs bonds.

La zone V1 est la zone primaire d'arrivée de la sensation visuelle, sur les deux hémisphères, dans la zone occipitale (nuque).

2°) la « zone de la forme du mot » est activée par des faux mots qui pourraient être vrais, comme CHIGNADOURLE, elle l’est beaucoup moins par des chaînes imprononçables comme FRDTJLP.

3°) l’alexie pure est la lésion de la « zone de la forme du mot » (et de celle-là seulement, ce qui est intéressant cliniquement mais assez rare), par exemple suite à un accident vasculaire cérébral (AVC). Parmi les symptômes, par exemple, le patient ne peut lire le mot MONDE, mais peut le reconnaître quand on lui présente le journal Le Monde. Il peut aussi y avoir alexie sans agraphie, le patient sait écrire mais non lire, y compris les mots qu'il vient d'écrire.

4°) une rééducation de l’alexie pure est fort possible, le patient arrivant à suivre mentalement la forme des lettres et à lire vite. Mais, la zone de la forme du mot restant endommagée, cette lecture post-rééducation se trahit par un temps de lecture proportionnel à la longueur du mot. Car chez le lecteur « normal », le temps de lecture (jusqu’à huit lettres) n’est pas proportionnel à la longueur du mot. L’enfant qui apprend à lire déchiffre et sa durée de lecture est proportionnelle à la longueur des mots, mais l’enfant qui sait lire ou l’adulte identifie en parallèle toutes les lettres du mot, grâce à la « zone de la forme du mot ». Ce n’est plus vrai quand le mot revêt une graphie particulière, comme une aLtErNaNcE de majuscules et de minuscules, auquel cas le temps de lecture redevient proportionnel à la longueur.

5°) enfin, last but not least, il existe, je le savais, des patients non conscients d’être paralysés du côté gauche (le médecin leur présente leur propre main gauche, ils disent « je vais vous casser les doigts »). Examinons maintenant les zones visuelles. Vous êtes normal, vous ne voyez pas derrière votre tête, mais vous n’avez pas l’impression qu’il y a du noir aux confins de votre champ de vision – votre système visuel ne possède simplement aucune représentation de ce qui est derrière vous. Il pourrait en être ainsi de certains patients ayant perdu la moitié de leur champ visuel (à gauche par exemple) et qui n’en sont pas conscients. Et aussi de certains patients entièrement aveugles sans en être conscients (patients anosognosiques).