Respect du principe du contradictoire dans une procédure disciplinaire (CEDH, 18 février 2010, Baccichetti c. France)

Publié le 21 février 2010 par Combatsdh

La patiente d'un médecin a initié une procédure tendant à engager la responsabilité civile de ce dernier du fait d'interventions chirurgicales (" chirurgie maxillo-faciale ") qui, loin d'améliorer son état de santé, l'ont aggravé. Parallèlement, une procédure disciplinaire fut engagée devant le Conseil régional de Lorraine de l'ordre des médecins et déboucha sur une peine de radiation du tableau de l'ordre des médecins. Les recours devant le Conseil national de l'ordre des médecins puis le Conseil d'État (qui n'a pas admis le pourvoi) ne permirent pas d'annuler cette décision.

Divers griefs alléguant du non respect du droit à un procès équitable (Art. 6) durant la procédure disciplinaire ont été examinés par la Cour européenne des droits de l'homme. La majorité d'entre eux ont été rejetés comme manifestement mal fondés (Art. 35.3 - Tardiveté alléguée de la présentation des conclusions par le conseil départemental de l'ordre des médecins - § 38 ; Refus de faire droit à la demande de renvoi d'audience - § 41 ; Absence alléguée d'examen des pièces produites par la partie requérante - § 44) ou pour non épuisement des voies de recours (§ 35.1 - demande de récusation - § 47).

Plus intéressant est le grief fondé sur le respect du principe du contradictoire dérivé du droit à un procès équitable et qui implique " le droit pour les parties au procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge et de la discuter, le cas échéant " (§ 30).

En l'espèce, le pré-rapport rédigé par un expert médical dans le cadre de la procédure civile précitée a été mentionné dans les visas de la décision du Conseil national de l'ordre des médecins alors que le requérant n'a pu en obtenir la communication. La Cour écarte ici l'application de certains de ses précédents qui ont admis, dans des " circonstances [...] très particulières ", " la non-communication d'une pièce de la procédure et l'impossibilité [d'en] discuter " (§ 31) dès lors que cela n'avait pas d'" incidence sur l'issue du litige " (v. notamment Cour EDH, 2e Sect. Salé c. France, 21 mars 2006, Req. no 39765/04, § 17-19). En effet, le pré-rapport " était une pièce clairement défavorable au requérant " (§ 32) et " le conseil national de l'ordre des médecins [en] a pris connaissance [...] avant de rendre sa décision [...] puisqu'il les a reprises en tant que telles dans les visas de sa décision " (§ 33). En conséquence, " la Cour n'est pas assurée que ce document n'ait pas eu d'incidence sur l'issue du litige " (§ 34) et conclut donc au non-respect du principe du contradictoire, d'où la condamnation de la France pour violation de l'article 6.

Cette analyse est critiquée par Jean-Paul Costa (présent de droit dans la formation de jugement en qualité de juge élu au titre de la France - Art. 27.2 - et par ailleurs Président de la Cour) dans son opinion dissidente. Il estime ainsi que " c'est verser dans le formalisme [que] de considérer que la procédure suivie n'a pas été contradictoire " à la lueur de la seule mention du pré-rapport litigieux dans les visas, cette mention étant " superfétatoire " puisque " le conseil national ne s'est pas fondé, fût-ce seulement en substance, sur " ce document.


Baccichetti c. France (Cour EDH, 5e Sect. 18 février 2010, Req. no 22584/06)
Actualités droits-libertés du 18 février 2010 (2) par Nicolas Hervieu