Le Chevalier orange et la descente aux enfers du MoDem

Publié le 23 février 2010 par Sylvainrakotoarison

Sondages en dégringolade pour les régionales, perspectives peu heureuses avec un redressement miraculeux du Parti socialiste, querelles internes permanentes, la création du MoDem de François Bayrou risque bien de devenir l’un des échecs politiques les plus décevants de la Ve République.
Ces dernières semaines semblent catastrophiques pour le MoDem, le parti de François Bayrou dont l’ambition reste toujours de devenir Président de la République française.

  Un article paru sur Agoravox essayait de comparer la démarche centriste de François Bayrou à celle, quarante années plus tôt, de Jean-Jacques Servan-Schreiber (JJSS) : volonté de rassembler les deux rives du centre, idées et valeurs fortes dans un paysage politique bipolaire. Si JJSS s’était heurté au mur du programme de l’union de la gauche de François Mitterrand, il est bien possible que François Bayrou se soit cassé les dents sur l’alliance hétéroclite d’Europe Écologie menée en 2009 par Daniel Cohn-Bendit. Ou bien sur sa propre incapacité à diriger un parti ?     Et les idées ?   J’avais été étonné par la très mauvaise campagne du MoDem aux élections européennes du 7 juin 2009 alors que cela aurait dû être les échéances les plus valorisantes pour un mouvement qui se revendiquait comme le plus favorable à la construction européenne dans un contexte national de repli identitaire. Le thème de l’Europe, le scrutin proportionnel, l’enjeu national et la future application du Traité de Lisbonne (un traité essentiel dans le redémarrage des institutions européennes) auraient dû avantager François Bayrou.   Mais le paradoxe du François Bayrou d’après mai 2007, c’est qu’il a voulu rassembler un ensemble très hétérogène de personnes qui avaient voté pour lui au premier tour de l’élection présidentielle plus par refus d’un unique choix entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal que par adhésion à son projet présidentiel.   Or, une fois l’élection de Nicolas Sarkozy acquise, le seul dénominateur commun de cet ensemble fut, au contraire de valeurs politiques fortes (redressement des déficits budgétaires, construction européenne, décentralisation) qui avaient jusque là toujours guidé le candidat François Bayrou, un simple antisarkozysme primaire qui, s’il était populaire dans certains recoins de l’espace politique n’en était qu’un élément démagogique peu constructif.     Un pédalage électoral prévisible   Les élections régionales de 14 et 21 mars 2010 auraient dû, après les européennes, être ces deuxièmes échéances capables de renforcer le MoDem : scrutin de listes, thème de la décentralisation en plein débat sur la réforme cruciale des collectivités locales (avec fusion des élus des régions et des départements) et aussi enjeu national, ne serait-ce que parce que ces élections sont les dernières majeures avant l’importante élection présidentielle de 2012 (il y aura encore des élections cantonales et sénatoriales en 2011).   Et qu’en est-il aujourd’hui ? Après bien des querelles internes pour la constitution des listes (notamment en Languedoc-Roussillon et en Picardie), le MoDem peine à reprendre un nouveau souffle. Les sondages qu’on lui crédite sont catastrophiques. Entre 2 et 7% au grand maximum, si bien qu’il n’a guère d’espoir d’être en capacité de se maintenir au second tour et même d’être capable de fusionner avec une autre liste, et puis, qui voudrait d’un parti qui ne veut être ni de droite ni de gauche et qui, par conséquent, est trop à gauche pour la droite et trop à droite pour la gauche, et qui n’apporterait aucune valeur ajoutée électorale ?   Pour certains candidats du MoDem (notamment en Provence-Alpes-Côte d’Azur), l’objectif à atteindre est descendu au seuil de… 2% ! Soit finalement pas loin du score de la liste de Jean-Jacques Servan-Schreiber à sa dernière aventure électorale, les élections européennes du 7 juin 1979 (1,8%).   Cette plaisanterie du seuil de 2%, c’est le mystérieux Chevalier orange, drapé dans son ironie, qui la raconte. Enfin, pas une plaisanterie, un pari : un candidat du MoDem a effectivement affirmé que si sa liste faisait moins de 2%, il traverserait le port de Marseille à la nage.     Un humanisme non pratiquant   Le Chevalier orange est l’auteur d’un blog très lu et apprécié dans la petite sphère du centrisme, car très bien informé et sans langue de bois. Ses propos directs mais anonymes peuvent choquer. On peut même y ressentir parfois de la haine ou, du moins, une profonde déception de ce qu’auraient pu devenir ces 18% d’un François Bayrou surpris lui-même par un tel emballement (son objectif était d’être élu en 2012 et pas en 2007 et il n’avait pas imaginé un tel succès au début de sa campagne de 2007).   Pour être si bien informé, il faut être proche du (supposé) "pouvoir". Le Chevalier orange est probablement parmi les proches de la direction du MoDem et n’hésite jamais à imputer à Marielle de Sarnez tous les maux du MoDem : l’incapacité d’organiser un parti en ordre de bataille, l’absence totale de démocratie interne, le choix arbitraire des candidats (aux régionales, aux européennes etc.), et surtout, le peu d’attention et de communication portées à ses propres militants et sympathisants. Bref, une sorte d’humanisme non pratiquant.   On voyait dès les élections législatives de juin 2007 que le mouvement de François Bayrou était retombé au niveau que l’UDF et François Bayrou avaient toujours connu depuis 1998, à savoir entre 7 et 10%.     L’érosion du bayrouïsme parlementaire   La raison de l’absence de "capitalisation" des 18% est en grande partie la scission survenue entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2007 où la quasi-totalité des députés UDF fidèles à François Bayrou a apporté son soutien à Nicolas Sarkozy pour le second tour. On avait dit alors que ces députés avaient "trahi" François Bayrou et que leur motivation aurait été leur réélection.   S’il y a évidemment une part de vrai (mais pas toujours, comme Pierre Albertini, ex-député-maire de Rouen), cette version refuse aussi une évidence : ces députés avaient toujours été élus contre un candidat de gauche et toujours soutenus par une alliance avec l’UMP (ce qui fut encore le cas de François Bayrou en juin 2007). Et la position dissymétrique de François Bayrou pour le second tour (qui a annoncé qu’il ne voterait pas pour Nicolas Sarkozy) a, elle aussi, "trahi" l’idéal pourtant martelé "ni droite ni gauche".   Aujourd'hui, le Chevalier orange affirme que ce départ des députés UDF aurait pu être évité. François Bayrou aurait voulu les retenir mais Marielle de Sarnez les aurait au contraire encouragés à partir afin de faire table rase et construire sur de nouvelles bases un nouveau parti. L’auteur du blog contestataire aura certainement à justifier et préciser un peu mieux cette insinuation.     Absence sur le terrain des idées   Il me semble que c’est cet élément fondateur (scission entre le général et ses lieutenants) qui a tué les 18% de François Bayrou : indépendamment d’avoir introduit une véritable haine entre deux centrismes pourtant idéologiquement équivalents (sur la base du projet du candidat Bayrou), le MoDem et le Nouveau centre, haine de chapelles bien étrange quand on veut rassembler de Jacques Delors à édouard Balladur, il a interdit à François Bayrou d’avoir un groupe à l’Assemblée Nationale (au contraire de juin 2002 où il avait su réagir avec combativité à la création hégémonique de l’UMP).   Ce qui fait que François Bayrou et son mouvement sont totalement absents des nombreux grands débats parlementaires initiés par Nicolas Sarkozy.   Or, n’avoir pas de députés européens, être absent des conseils régionaux, perdre ses adhérents, ce n’est peut-être pas bien grave quand le point de mire est l’élection présidentielle. En revanche, l’absence d’une force capable d’être écoutée au Parlement sur tous les grands sujets politiques est un handicap à mon sens insurmontable pour celui qui prétend assumer le rôle suprême dans nos institutions. Ce n'est pas étonnant que les idées du MoDem ne résonnent pas médiatiquement : hors du Parlement, un parti est rapidement inaudible sauf s'il fait dans la provocation ou la démagogie (comme le Front national).     L’absence d’équipe solide nuit à la crédibilité d'un présidentiable   Cette absence pointe du doigt l’immense solitude de François Bayrou. À cet égard, le Chevalier orange s’était amusé à se faire peur en imaginant l’éventuel gouvernement de François Bayrou s’il arrivait à l’Élysée.   J’avais considéré à l’époque de la campagne de 2007 que l’absence d’équipe valable auprès de François Bayrou était une critique irrecevable car en cas d’élection, l’élu aurait rassemblé plus de 50% et la classe politique se serait naturellement adaptée (avec de nombreuses offres de service de la part de ceux qui sentiraient le vent tourner). L’exemple de Valéry Giscard d’Estaing élu en 1974 avec très peu de "troupes" illustre bien que les institutions recentrent toujours le paysage politique autour du Président de la République.   Maintenant, j’ai un véritable doute sur cet argument. Le Président de la République est devenu de plus en plus un "manager", de moins en moins un "roi fainéant", et la capacité à choisir et motiver une équipe est essentielle pour réussir (être élu mais aussi faire du bon travail une fois élu).   C’est ce qui a permis d’élire George W. Bush au lieu du favori Al Gore en novembre 2000 (c’est d’ailleurs la seule qualité de Bush Jr., celle de meneur d’hommes). C’est ce qui a fait également le succès de Lionel Jospin (qui continue encore à parler avec nostalgie de sa "dream team" de 1997). C’est aussi ce qui a permis l’élection de Nicolas Sarkozy bien mieux préparé, d’un point de vue des ressources humaines, que Ségolène Royal à diriger la France.   Aujourd’hui, le comportement de François Bayrou confirme que ce dernier n’écoute aucune personnalité de valeur qui aurait pu lui apporter des atouts supplémentaires à son ambition : une Corinne Lepage, par exemple, est tellement ignorée que cela ne fait guère de doute qu’elle reprendra sa liberté après les élections. François Bayrou ne vaut guère mieux que Ségolène Royal dans son incapacité à constituer une équipe politique solide qu’il pourrait lui-même respecter.     Une micro-chance de survie ?   Pourtant, s’il devait rester une chance minime pour François Bayrou en 2012, ce serait d’en finir avec son isolement politique : en faisant une alliance publique et claire avec au moins une autre personnalité qui souhaite affronter Nicolas Sarkozy : Dominique de Villepin ou Dominique Strauss-Kahn. Et en précisant clairement la répartition des rôles.   Depuis trois ans, il semble que François Bayrou a fait le choix de préférer perdre seul à gagner ensemble. Aut caesar aut nihil. Cela risque donc bien d’être nihil   Le MoDem ne serait alors qu’une petite entreprise de François Bayrou où tout serait fait pour le préserver. L’effondrement aux régionales serait tellement acquis dans les cerveaux que la direction du MoDem réfléchirait déjà à la réaction adéquate à communiquer à l’issue de l’échéance pour affronter une vague de dissidence qui se préparerait elle aussi dès maintenant.   Pour vous faire une idée particulière de l'état actuel du MoDem, je vous encourage donc à lire les billets fort bien renseignés du Chevalier orange, tout en ignorant la déplorable animosité verbale de l’auteur contre certains responsables du MoDem et en fermant les yeux également sur les fautes d’orthographe, et d’y lire aussi les nombreux commentaires parfois très instructifs sur une ambition politique qui n’a jamais su se concrétiser pleinement.     Aussi sur le blog.   Sylvain Rakotoarison (23 février 2010)     Pour aller plus loin :   Blog du Chevalier orange.   Le MoDem aux élections locales.   Le MoDem mène-t-il vers une voie de garage ?  

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-chevalier-orange-et-la-descente-70481
http://fr.news.yahoo.com/13/20100223/tot-le-chevalier-orange-et-la-descente-a-89f340e_1.html
http://www.lepost.fr/article/2010/02/23/1955343_le-chevalier-orange-et-la-descente-aux-enfers-du-modem.html
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-135
http://www.centpapiers.com/le-chevalier-orange-et-la-descente-aux-enfers-du-modem/11796/