L'Union européenne fait semblant de réguler la finance

Publié le 23 février 2010 par Edgar @edgarpoe

Un grand papier du Monde la semaine dernière, fièrement titré "L'Europe doit réguler la finance".

C'est signé Sylvie Goulard, présidente du Mouvement européen, membre du Modem et députée européenne.

La dame a trouvé la solution miracle pour réguler la finance : inscrire la régulation au niveau européen, à travers un Comité européen du risque systémique (CERS, entité qui existe déjà mais qui ne demande qu'à s'épanouir).

Plein d'avantages à cela selon Mme goulard.

D'abord l'Europe enfin unie saura imposer des règles strictes au monde entier - unie derrière Jean-Claude Trichet, phare de la pensée économique, puisque la députée propose que le président de la Banque Centrale européenne soit président du CERS. Le CERS serait localisé à Francfort.

Elle propose, de façon générale, que les pouvoirs de différents comités Théodule de supervision européenne (banques, marchés financiers et assurances) soient renforcés, au détriment des autorités nationales de contrôle. Au passage, elle demande également que ces comités Théodule qui siègent aujourd'hui à Londres, Paris et Francfort soient tous regroupés à... Francfort.

Comme cela il sera plus facile le moment venu de tout fusionner en un super machin européen.

Tout le pathos sur la nécessaire unité de l'union est convoqué, dans un texte plein de bons sentiments ("nos enfants méritent mieux (sic)", il faut "un gouvernement planétaire des questions climatiques" (re-sic)).

Le problème est que pas une ligne de ce qui est écrit n'a la moindre chance d'être efficace.

Ce que propose Goulard c'est de favoriser la naissance de géants européens des marchés, de la banque et de l'assurance, controlés par un régulateur européen ("si nous n'organisons pas une supervision au niveau européen, les entreprises seront cloisonnées en filiales, le marché des services financiers se fragmentera, au détriment de la croissance et de l'emploi").

Hors, il ne faut entretenir aucune illusion à ce sujet, cette solution est exactement celle qui prévaut aux Etats-Unis, ou la double régulation de la Fed et de la SEC n'a en rien empêché les délires du monde de la finance.

Sylvie Goulard, jamais à court d'un argument tendance, mentionne les réformes bancaires menées par Obama et attend le jour où "l'UE gagnera le respect des Etats-unis [...] par son unité et son sérieux" (peut-être même aurons-nous droit à un susucre). On verra plus tard qu'en réalité Sylvie Goulard prend le chemin inverse des orientations d'Obama...

Parvenu à ce point, le lecteur peut trouver que mes récriminations permanentes contre les méfaits de l'Union ne peuvent compenser le savoir de l'excellente Madame Goulard. Et en effet, si je n'avais pas lu par hasard un excellent papier de Dani Rodrik le même jour que celui de notre vaillante députée Modem, j'aurais sans doute laissé tomber.

Mais il se trouve que Dani Rodrik, professeur d'économie à Harvard, a publié récemment un article titré : contre une coordination financière internationale

Il explique fort bien comment Barack Obama a proposé, suivant en cela les conseils de Paul Volcker, de limiter la croissance des banques et de les empêcher de spéculer avec l'épargne de leurs clients. On reviendrait à une séparation entre banques de dépôts et banques d'affaires.

L'idée est notamment d'en finir avec des banques devenues des mastodontes incontrolables que les états sont obligés de refinancer en cas de faillite, qui plus est aveuglément faute d'être capables de démêler l'écheveau de leurs engagements internationaux.

Surprise : Dominique Strauss-Kahn est vent debout contre cette idée, de même que la plupart des acteurs européens, banquiers et régulateurs.

De fait, les pouvoirs publics européens sont déjà otages des géants européens de la finance, à la croissance desquels ils n'osent plus s'opposer.

Cela, Madame Goulard n'en dit évidemment pas un mot. Comme les européens qui sont au bord de l'orgasme à l'idée que la faillite grecque va permettre de mettre en place un gouvernement économique européen, elle n'a comme seul souci la construction de nouvelles autorités européennes, si possible centralisées à Francfort (on rappellera à ce sujet que le mouvement européen qu'elle préside est, contrairement à ses affirmations, un organisme de propagande financé par l'Union européenne).

Comme l'explique fort bien Dani Rodrik, le vrai sujet de la régulation de la finance internationale, ce n'est pas la régulation internationale de la finance ("Lorsque les règlementations financières sont conçues par une coterie de régulateurs mondiaux assis dans des bureaux localisés en différents lieus, ce sont les banquiers et les technocrates qui remportent la manche. Rendre ce processus aux états ferait basculer la balance du pouvoir en faveur de leurs législatures et des parties prenantes nationales".)

De fait, Sylvie Goulard est complètement à côté de la plaque et l'intérêt, pour l'avenir de nos enfants, n'est pas de construire un régulateur financier plus grand pour que nos banques soient plus grandes. C'est au contraire d'assurer un contrôle national des banques par un régulateur national. Si j'écris cela j'ai l'air ringard. Ecrit par un professeur de Harvard ça passera peut-être mieux pour les partisans de l'union européenne : "La diversité des règlementations serait en effet assez couteuse pour les banquiers, qui devront s’ajuster à différentes règlementations en traversant les frontières. Mais pour ce qui est du reste d’entre nous, nous souffrons d’un trop plein de mondialisation financière, et non le contraire. Une forme de segmentation financière n’est pas un prix trop cher à payer pour des règlementations plus fortes, solidement soutenues par les politiques intérieures"

Le grand marché européen est peut être d'ailleurs l'un des facteurs de la crise financière actuelle, et non pas la solution : la liberté de mouvement des capitaux au sein des 27 a sans doute fortement incité les banques allemandes et françaises à aller spieler l'argent des épargnants en Grèce et dans l'immobilier espagnol, plutôt que de s'en tenir à leurs marchés domestiques.

L'excellente Madame Goulard ne rappelle pas non plus que la libéralisation des marchés financiers à l'européenne a donné naissance aux dark pools

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On pourra juger qu'en matière financière au minimum, l'Union européenne est l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire. Je vois même dans ce sujet une sorte d'illustration parfaite des insuffisances de l'Union : la volonté de construire à tout prix une unité européenne, au prix du temps nécessaire à cela, et de la volonté des peuples, incite des gens qui se prétendent soucieux du sort de nos enfants, à leur construire des institutions en réalité inutiles, non démocratiques et qui plus est inefficaces. A quelques semaines d'élections régionales qui n'ont aucun intérêt, là réside le seul enjeu politique du moment : rien de politiquement signifiant ne peut être tenté dans le cadre de l'Union européenne - dans le domaine de la régulation financière comme dans les autres.

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Sur Rodrik, l'Europe et la mondialisation, on relira avec intérêt mon billet sur le triangle d'impossibilité de l'économie mondiale