L'éducation civique et morale : outil pédagogique et ins...

Publié le 16 août 2009 par Jean-Olthène Tanisma
L'ÉDUCATION CIVIQUE ET MORALE : OUTIL PÉDAGOGIQUE ET INSTITUTIONNEL ESSENTIEL POUR CONTRIBUER À COMBATTRE LE SOUS-DÉVELOPPEMENT EN HAÏTI
Haïti est aux abois depuis 1804. Tous les observateurs s'accordent à reconnaître que la première république noire du nouveau monde patauge depuis deux cents ans dans les ornières du sous-développement et ses chances de s'en sortir semblent se complexifier et s'estomper au fil des élections. À part quelques courtes périodes de stabilité socio-économique et politique, notamment entre 1946 et 1952, cette nation devenue déchirée et exsangue n'a jamais vraiment pu trouver un rythme serein et une stabilité socio-économique durable, au grand désespoir de ses enfants et des haïtianophiles (oui, il y en a !) répandus à travers le monde.
Pourtant, en jetant un regard objectif, non teinté de "partisanerie" politique ou de nostalgie, on se rend compte que cette nation possède indubitablement des potentiels énormes en comparaison à d'autres pays amis voisins ou plus éloignés pour amorcer ce virage tant espéré du progrès durable. En effet, ses immenses richesses naturelles, son climat tropical, ses paysages attachants, la polyvalence et la débrouillardise étonnantes de ses ressources humaines ainsi que leurs incroyables facultés d'adaptation constituent quelques-unes des caractéristiques indéniables illustrant ces potentiels.
Mais quels sont, diantre, les démons qui assaillent et paralysent le pays découvert par Colomb dont Dessalines a voulu l'émancipation? Quels sont les embûches qui empêchent la "Perle des Antilles" de s'affranchir du sous-développemnt pour s'engager résolument dans les voies du développement et de la stabilité comme certains états de l'Afrique, de l'Amérique latine et des Antilles ?
Autant de questions qui nous interpellent et auxquelles chacun essaie, à travers différentes approches exploratoires et analytiques, d'apporter une piste de réponse. Car avouons-le humblement, la résolution de la problématique de l'essor haïtien résiste à toutes les analyses expertes à ce jour, que ces dernières soient fondées sur les sciences économiques, sociales et politiques. Somme toute, notre nation continue de dérouter bon nombre d'observateurs issus d'horizons académiques variés quant aux leviers solides qui pourraient favoriser son développement socio-économique durable.
Le concept du sous-développement
D'abord, essayons de défricher de manière succincte, quelques éléments du contenu de ce concept. Il existe d'ailleurs une abondante documentation à cet égard.
De manière générale, le sous-développement réfère au retard socio-économique, technologique et scientifique qu'accusent certains pays par rapport à d'autres. Ce retard est mesuré au moyen d'indicateurs tels que le produit national brut (PNB), le produit intérieur brut(PIB), le revenu per capita, le nombre de médecins par habitant, le taux de natalité et de mortalité infantile, les taux d'emploi et de chômage, etc. Ces paramètres, appliqués à des normes et barèmes internationaux, permettent d'attribuer aux pays concernés un certain degré de sous-développement ou de développement.
Mais, l'énumération de ces facteurs et de leur poids n'explique pas tout à fait l'ampleur et les mécanismes complexes du sous-développement. Car, selon plusieurs auteurs, celui-ci est conditionné au préalable par deux groupes de facteurs principaux : des facteurs exogènes et des facteurs endogènes. Bien que cette approche soit quelque peu surannée, dans la mesure où elle constitue l'une des premières bases de réflexion sur le phénomène du sous-développement au début des années 70, elle n'en demeure pas moins d'actualité en regard de notre pays.
A) Les facteurs exogènes
Ceux-ci réfèrent aux rapports et aux relations des pays étrangers avec Haïti aux plans économique, politique, social et culturel. Dans cette perspective, on peut comprendre et expliquer certaines politiques interventionnistes des puissantes dites amies dans le pays depuis la première guerre mondiale. On comprend également l'ampleur des enjeux sur le terrain aujourd'hui où la position géographique stratégique de l'île, au cœur d'un agglomérat socio-politique et linguistique en pleine mutation, inspire à ces puissances la crainte, à tort ou à raison, de perdre leur hégémonie sur le pays ainsi que sur les autres qui font partie de cet ensemble. Le signal de ce désengagement géopolitique ou de "mutinerie" envers ces puissances a d'ailleurs été lancé respectivement par le Brésil, le Vénézuéla et la Bolivie au cours des dernières années.
Ces facteurs peuvent expliquer aussi en partie la stagnation de notre économie dont les leviers reposent sur l'agriculture, les ressources naturelles et le tourisme de masse. Ainsi, les diverses tentatives de contrôle et d'occupation politique du pays par certaines puissances étrangères ont eu, au fil des ans, des impacts directs sur la stabilité et le progrès économiques encore aujourd'hui.
B) Les facteurs endogènes
Ce sont des causes qui impliquent intrinsèquement les gouvernements successifs locaux dans le cadre de leurs responsabilités administratives et politiques vis-à-vis leurs concitoyens. Elles réfèrent aussi aux relations et comportements qu'entretiennent les citoyens entre eux. Dans cette perspective, on réalise que la corruption légendaire qui s'est installée dans notre pays, l'irresponsabilité et l'incompétence de nombreux administrateurs, l'inefficacité et la désuétude des institutions, etc. constituent aujourd'hui des écueils difficilement surmontables qui s'inscrivent d'emblée dans les conditions endogènes.
De même, les luttes de classe et de couleur, l'égocentrisme, la jalousie, la suffisance, l'égoïsme des uns, le déni ou le refus des connaissances et des compétences de l'autre, le non-respect de la vie, la violence gratuite, la méfiance viscérale etc., sont devenus des réflexes comportementaux qui gangrènent une partie importante de notre société. Permettez-moi de réfuter l'hypothèse que "l'étranger" est la source exclusive de nos malheurs, même si j'admets le poids de certains éléments à caractère exogène dans notre marasme socio-économique et politique comme je l'ai mentionné précédemment.
Les facteurs endogènes représentent, à mon avis, les véritables freins qui ralentissent notre progrès socio-économique. Si rien n'est fait, il existe de fortes chances pour que ces "patterns" comportementaux quasi-instinctifs continuent de se reproduire au fil des générations. Il faut y obvier rapidement pendant qu'il est encore temps, pendant que, pour une des rares fois, les volontés des communautés haïtiennes de toute fortune, de toute éducation et de toute nuance épidermique, répandues aux vents, semblent converger vers un même objectif, en l'occurrence : engager le dialogue pour sortir Haïti du sous-développement.
Le rôle de l'éducation civique et morale
L'éducation pédagogique continuelle des plus jeunes générations, (8-25 ans ainsi que celles des générations adultes trop imbues d'elles-mêmes! ) dans les rues et sur les bancs d'école, l'apprentissage du respect: respect de soi-même, respect de la vie de l'autre, respect du bien d'autrui, de la propriété intellectuelle, constituent des enseignements fondamentaux qui doivent être intégrés dans un programme d'éducation civique scolaire et para-scolaire à l'échelle nationale, sous forme de cours, d'ateliers et de projets in situ. Un embryon de ce type d'enseignement a été déjà dispensé en Haïti au cours des années 60-70 par le biais d'un livret intitulé Instruction civique et morale. Malgré son caractère synthétique à l'époque, ce petit ouvrage a profondément contribué à l'éveil des valeurs civiques et sociales d'une génération . Il pourrait être édité sous un forme plus adaptée aux réalités d'aujourd'hui, en exploitant efficacement les nouvelles technologies médiatiques.
Quant aux travailleurs moins jeunes, notamment, les gestionnaires et les fonctionnaires publics, un programme de communications internes intensives, relayé par les médias locaux, portant également sur les notions de respect et d'éthique au sein de l'administration publique devrait être mis de l'avant par tout gouvernement qui aspire au progrès. De même, un suivi périodique sérieux devrait en être assuré par des personnes (ombudsman) et des institutions compétentes pour en évaluer les effets.
Il faut freiner la propension à l'anarchie, à la convoitise, à la destruction du bien d'autrui, à la médisance, au "chin manjé chin" dès le plus jeune âge, par la promotion et par l'utilisation et d'outils pédagogiques adéquats, performants et accessibles. Il convient aussi d'instaurer un climat de confiance et de fiabilité dans l'administration en établissant des normes d'éthique institutionnelles étanches et sévères.
La mise en place urgente d'un tel programme d'éducation, qui s'inscrit d'emblée dans les causes endogènes, offrira à moyen et à long terme un tremplin colossal qui nous permettra de mieux appréhender et de mieux maitriser les leviers du développement matériel (l'agriculture, les infrastructures, etc.). Il contribuera également à sensibiliser nos partenaires internationaux quant à notre volonté réelle de vouloir sortir du sous-développement en y sarclant assidument dans les racines.
Dans le contexte actuel, force est de constater que même disposant de meilleures infrastructures (hôpitaux, écoles, routes, électricité, logement, etc.) il nous serait malgré tout difficile de gérer notre essor matériel si nous ne changeons pas parallèlement nos attitudes civiques, sociales et interpersonnelles en y extirpant les tares qui les affectent. L'éducation civique, morale des jeunes d'Haïti et de l'extérieur(et de certains adultes!) offre une issue viable pour l'avenir. Faut-il bien cependant y investir sérieusement dès maintenant.
Jean-Olthène Tanisma
Montréal , le 12 Juillet 2008