Pascal Bonitzer : le cinéma entre trac et travail

Par Bscnews
Rencontre avec Pascal Bonitzer, scénariste et réalisateur : Entre écriture et mise en image, castings et repérages, doutes et espoirs, souvenirs et projets.
Comment devient-on le scénariste des plus grands réalisateurs français?
Pascal Bonitzer : Il y a plusieurs façon de faire... J'ai commencé par être critique au Cahier du Cinéma. C'est en temps que critique que j'ai rencontré un certain nombre de metteur-en-scène : Téchiné, Rivette, Raoul Ruiz, Benoit Jacquot et Pascal Kané. Les Cahiers du Cinéma avaient une tradition de « passage à l'acte » vers la réalisation. Si j'y suis rentré, à 23 ans, c'était aussi avec l'idée que je ne passerai pas ma vie à être critique En tant que critique, on rencontre des cinéastes, on se met à les fréquenter, et parfois, si ils pressentent en vous l'envie de faire autre chose que de la critique, ça peut les intéresser. André Téchiné n'était pas beaucoup plus vieux que moi, et il cherchait surtout un complice pour ses films.
Concrètement, au niveau de la technique d'écriture, comment on s'adapte pour servir au mieux l'univers de cinéastes aussi différents?
Pascal Bonitzer : Quand j'ai commencé à écrire, j'étais loin d'avoir de la méthode et d'être professionnel, donc ça c'est fait un peu sur le tas. Pour Téchiné, ça c'est fait un peu comme ça, il m'a proposé de retravailler une biographie des soeurs Bronté. Je n'étais pas spécialiste, mais « Les hauts de Hurlevent » avait été longtemps mon livre de chevet, donc cela m'intéressait et je me suis lancé avec lui. On a abouti à une espèce de monstre de plus de 200 pages, un film de plus de 3 heures, retravaillé et recoupé ensuite par Toscan du Plantier le producteur. Cela a donné le film que l'on connaît, qui a failli du reste mettre un terme prématurément à ma carrière puisqu'accueilli à Cannes par une kabbale dont je me souviens encore... Jacquot et Rivette sont venus aussi à moi, introduits par des amis communs. Je me suis adapté à chacun de leurs univers.
Comment?
Pascal Bonitzer : J'ai eu la chance de travailler avec des cinéastes qui avaient un univers personnel très fort et qui n'étaient pas des cinéastes formatés. Rivette, par exemple, m'a proposé une méthode de travail qu'il inaugurait. Après « Le pont du nord », lorsque je l'ai rencontré, il avait décidé d'en finir avec cette technique qu'il avait appliqué jusque là et qui consistait à proposer pour chaque scène un canevas aux comédiens mais qui se retrouvaient en totale improvisation au niveau des dialogues. Avec moi, et donc ce film « L'amour par terre », il a voulu changer et proposer des scènes écrites. Il y avait un canevas assez libre, un plan de travail pour les techniciens, et il fallait que j'écrive les scènes pendant le tournage, une semaine avant, parfois 3 jours, voire le matin même.
Cela vous a plu?
Pascal Bonitzer : Oui, à ma grande surprise, beaucoup, parce que je n'avais pas à me poser des questions toujours troublantes et tourmentantes comme : quelles sont les motivations des personnages, quel est le fil directeur de l'action? C'était un peu foutrarque, mais très vivant, pas figé. Le tournage lui même était très rock'n roll, avec Jane Birkin, Géraldine Chaplin, Jean-Pierre Kalfon et André Dussolier. J'étais assez novice et il m'arrivait de faire des scènes longues, des dialogues importants, des textes difficiles à se mettre en bouche pour les comédiens. Au fur et à mesure de ma collaboration avec Rivette, j'ai allégé, et acquis une méthode d'écriture avec et pour lui. Très particulière et bien différente de mon travail avec André (Téchiné). Avec ce dernier, tout était écrit, à la virgule près, cela différait néanmoins aussi de la technique d'écriture que l'on considère classique, car on se lançait directement dans l'écriture des scènes avant d'écrire un traitement ou un synopsis. Il avait son idée du récit en tête, il fallait trouver scène à scène comment arriver jusqu'au bout.  
Vous avez une formation en philosophie, est-ce que cela vous a servi dans votre travail de scénariste?
Pascal Bonitzer : Avec Raoul Ruiz, oui. La philosophie servait énormément à la structure de son scénario, car il a un esprit très encyclopédique, il est très influencé par la philosophie baroque espagnole, dans « La vie est un songe » par exemple. Avec lui, j'ai aussi mis en place quelque chose de très intéressant, mais épuisant, à la Fémis, où j'ai structuré un département entier. Nous avons monté un projet de film avec les élèves de première année, passionnant pour eux, mais très fatiguant pour nous.
Faire vos propres films a-t-il été une suite logique? Quel cinéaste êtes-vous?
Pascal Bonitzer : Je ne m'étais jamais lancé parce que je ne me pensais pas capable de passer à la réalisation. Un producteur est venu un jour me proposer d'écrire spontanément quelque chose et de le réaliser. Le point de départ de l'histoire était une adaptation très libre d'un dialogue que j'avais eu avec une des élèves de la Fémis qui souhaitait quitter l'école. Je l'ai convoquée pour savoir pourquoi, et ce qu'elle m'a dit ce jour-là, ses motivations, m'ont tellement étonné que je l'ai retranscrit et que je m'en suis servi comme point de départ de mon premier film, une comédie, même si je n'en avais pas conscience quand je l'écrivais que ce serait une comédie. Je ne voulais pas faire du sous Téchiné, ou du sous Rivette. J'ai trouvé ma propre écriture, se rapprochant plus de l'écriture rohmérienne. Ayons une pensée pour lui, Rohmer, qui vient de nous quitter.

Vous nourrissez-vous beaucoup du quotidien pour écrire vos films? On vous reconnaît un vrai talent au niveau des dialogues, très « naturels, justes ».

Pascal Bonitzer : Aujourd'hui, je ne me nourris peut-être pas assez de ce que je vis finalement. Je m'en suis pas mal écarté. Mes premiers films étaient assez intimistes, il y avait des éléments autobiographiques. Le personnage récurrent de mes trois premiers films était trois variations sur une sorte d'autoportrait imaginaire, mais avec des histoires de plus en plus fictives. Une des choses qui m'a fait le plus plaisir, c'était tous ces gens qui m'ont demandé à la sortie de mon premier film si les dialogues avaient été improvisés, alors que tout avait été très précisément écrit. Cela, on ne le sent que grâce au feedback des spectateurs. Dans le temps du tournage, on doute, et au montage on est désespéré! Ce n'est que quand j'ai montré une première version à Rivette, qui m'a dit « c'est formidable, mais il faut couper cette première scène et la dernière qui sont inutiles », que j'ai pris un peu confiance en moi, en mon film. Avant, j'ai douté tout le temps du tournage et du montage, pensant que c'était nul. Et puis, sa sortie fut couronnée de succès et j'ai même été honoré du prix Jean Vigot. Mais, j'étais tellement mal, que même en recevant ce prix, je n'ai pas pris le plaisir que j'aurais pu avoir. Je ne me sens pas du tout aguerri, malgré le succès de certains de mes films, j'ai toujours le même trac, l'impression qu'il s'agit de mon premier film.
La réalisation vous apporte-t-elle autant de plaisir que l'écriture?
Pascal Bonitzer : Oui, mais c'est très différent. Quand on écrit, il faut avoir une idée, pas forcément très précise d'ailleurs, de la mise en image, mais il faut surtout attendre quelque chose de cette mise en image. Il y a des cinéastes qui ont besoin de visualiser leur film de manière extrêmement précise, que l'image soit presque là sur le scénario, voire sous forme de story-board. Moi non, j'attends beaucoup de 2 moments très importants dans ma préparation qui sont : le casting et les repérages. A savoir le choix des comédiens et le choix des décors. Comme on n'est pas dans un système hollywoodien, industriel, et que mes décors sont pour la plupart naturels, cela compte beaucoup. Lorsque l'on trouve un lieu, une maison, un appartement qui a une âme, on est content car la scène un peu abstraite sur le papier s'incarne. Ce que l'on a écrit prend corps, ce n'est pas forcément ce que l'on avait pensé, mais on se nourrit du lieu. Idem pour les comédiens. Pour mon premier film, j'ai écrit en pensant à Daniel Auteuil, qui n'acceptait pas les premiers films, je le savais mais c'est à lui que je pensais en écrivant mon personnage principal. Après, il y a eu une possibilité que cela soit joué par Lucchini. Et pour finir, cela a été Jackie Berroyer. Et ce fut parfait, je n'aurais pas pu ensuite imaginer que cela soit quelqu'un d'autre que Berroyer pour ce rôle là.
Tout en étant auteur et metteur en scène de vos films continuez-vous à être scénariste pour d'autres cinéastes ?
Pascal Bonitzer : Oui. Absolument. J'ai plusieurs projets, dont un avec Raoul Pecq, avec qui j'avais déjà travaillé sur « L'affaire Villemin ». C'est un projet ambitieux sur le jeune Marx, un film historique, pour le cinéma, à gros budget. C'est un projet difficile sur lequel nous travaillons depuis plus d'un an. Il faut choisir le bon angle, il faut traiter de questions intellectuelles et politiques. Cela pose des problèmes de financements et de scénario. Je vais entamer aussi une collaboration de co-scénariste avec Marina de Van, la co-scénariste d'un de mes précédents films. Et j'ai également 2 projets perso, dont une adaptation des « Envoûtés » de Gombrowicz, dont je ne sais pas si j'arriverai à le mener à bien.    
 Vous parlez souvent de douleur à propos de l'écriture. C'est une douleur?
Pascal Bonitzer : Oui. Parfois. J'ai par exemple beaucoup souffert sur l'écriture de ce scénario, dont je me demande encore si je ne vais pas laisser tomber, après deux ans de travail. Ca m'est déjà arrivé. C'est l'un de mes défauts, je pars très souvent sur une histoire sans savoir comment elle se termine. Sur ce roman que j'essaie d'adapter, j'ai fait l'erreur de sortir du roman, et je me suis retrouvé sur quelque chose de pas complètement vierge, avec des personnages issus du roman. Je ne trouve pas la clé de ce scénario, de ce film. Gérard Brach avait lui aussi tenté d'adapter ce livre et avait abandonné. C'est un roman feuilleton écrit au jour le jour, parfois désinvolte au niveau des péripéties, situé en Pologne dans les années 30. Pas facile à réintroduire dans la France d'aujourd'hui, mon producteur ne voulant pas d'un film historique. Pas facile d'en faire un film là où le feuilleton nécessiterait une série en douze épisodes. C'est une histoire d'amour, un récit semi-fantastique, avec un château hanté... autant d'éléments pas très pratiquables! Alors, oui, parfois, écrire est douloureux, long, et il m'arrive d'abandonner des projets sur lesquels j'ai parfois passé plus de 2 ans... Nous verrons bien!
Propos recueillis par Élodie Trouvé

Pascal Bonitzer est l'auteur de « Exercice du scénario », 1990, co-écrit avec Jean-Claude Carrière, aux Editions Broché.