Comment François Bayrou a-t-il perdu "ses" 18% ?

Publié le 02 mars 2010 par Sylvainrakotoarison

La candidature de François Bayrou avait rassemblé le 22 avril 2007 près de sept millions d’électeurs. Trois ans plus tard, où sont-ils donc passés ?


En situation très inconfortable pendant cette campagne des élections régionales, voici que François Bayrou, président du MoDem se déclare "sans opinion" concernant les soubresauts de la campagne. Un manque d’enthousiasme manifeste pour des élections qui auraient dû être une planche de salut pour le centre autonome.

    La malédiction du troisième homme  

Dans l’histoire de la politique française, il y aura désormais un mystère concernant le sort réservé aux 18% du premier tour de l’élection présidentielle de 2007 de François Bayrou. Certes, les troisièmes hommes ont toujours été particulièrement malchanceux pendant le mandat qui a suivi leur non désignation pour le second tour : Jean Lecanuet le 5 décembre 1965 (dislocation du centre), Jacques Duclos le 1er juin 1969 (début de la chute du PCF avec le programme commun), Jacques Chaban-Delmas le 5 mai 1974 (perte d’influence des barons gaullistes), Jacques Chirac le 26 avril 1981 (échec de la stratégie de Jacques Chirac par la cohabitation), Raymond Barre le 24 avril 1988 (aucun candidat centriste en 1995), Édouard Balladur le 23 avril 1995 (perte d’influence du balladuro-sarkozysme au profit du juppéo-villepinisme dans la chiraquie), Lionel Jospin le 21 avril 2002 (dislocation des éléphants socialistes)… et justement François Bayrou le 22 avril 2007.    

Une fuite en avant vertigineuse  

La stratégie du candidat François Bayrou avait su soulever un espoir politique assez inédit : la possibilité de cette troisième voie, si souvent énoncée et si souvent inexistante. Les tentatives malheureuses de Gaston Defferre, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Michel Rocard et Jacques Delors, desservies par le scrutin majoritaire à deux tours aux élections législatives (et présidentielles), et par l’adoption du programme commun (alliance entre socialistes et communistes) préfigurant à partir de 1974 l’alliance de la droite et du centre (gaulliste et centristes), rendaient la stratégie de la troisième voie très aléatoire.   Sauf dans le cas où cette troisième voie serait devenue majoritaire. C’est-à-dire, en position de force dans le paysage électoral français. Or, c’est un peu sur cette hypothèse que s’était appuyée la campagne du premier tour de 2007 de François Bayrou. À partir de début février 2007, François Bayrou fit un énorme bond en avant dans les sondages et son ascension a complètement bouleversé la donne politique. Au lieu d’un paisible second tour entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal qui donnerait sans surprise gagnant le premier, l’élection changeait de dimension et rendait possible l’échec de Ségolène Royal dès le premier tour et plausible la victoire de François Bayrou contre Nicolas Sarkozy au second tour. Nul doute que François Bayrou croyait à cette étoile qui brilla si soudainement. Et avec lui, ses sept millions d’électeurs centristes, gaullistes, socialistes, écologistes...   Les discours dans les meetings et les médias furent alors rapidement jusqu’au-boutistes, à savoir en concentrant la critique uniquement contre Nicolas Sarkozy, seul candidat pouvant véritablement gagner le second tour, si bien que la posture devenait très délicate entre les deux tours.  

  L’impossible entre deux tours  

C’était un peu la réflexion que je me faisais à l’époque. Cette campagne fut une sorte de vertigineuse ascension sans aucune idée de la manière de redescendre. François Bayrou était condamné à réussir le passage au second tour ,sinon il serait dans une position politique inextricable. En effet, en cas d’échec au premier tour, le second tour aboutissait au traditionnel duel entre la droite et la gauche, clivage auquel s’était opposé de toutes ses forces François Bayrou.   Soit François Bayrou aurait donné consigne de soutenir la candidature de Nicolas Sarkozy, et tout son discours antisarkozyste était renié ; soit il aurait soutenu la candidature de Ségolène Royal, et son rejet de la droite et de la gauche aurait été également renié et il aurait profondément scandalisé ses électeurs fidèles depuis 1999 ; soit enfin, il appelait à l’abstention ou au vote blanc, et pour un homme politique responsable ayant pour ambition la direction de l’État, ne pas vouloir prendre position lors la plus importante échéance de notre démocratie aurait montré de l’irresponsabilité ou de l’indécision, la règle du jeu de l’élection présidentielle voulant que le choix s’opère entre les deux seuls candidats du second tour (même De Gaulle n’a pas été élu dès le premier tour).   Bref, c’était comme faire une chute libre en se disant pendant la chute "jusque maintenant, tout va bien" et en espérant qu’il y aura un bon amortisseur au sol.  

  Essoufflement fatal  

À partir de mi-mars 2007, la campagne de François Bayrou s’est essoufflée : d’une part, les sondages amorçaient une baisse (mais un sondage de CSA l’avait placé beaucoup trop haut, jusqu’à 24%), et aucun nouveau "coup" n’avait été prévu pour rebondir ou permettre un nouveau bond. François Bayrou, fort de mauvaises assurances apportées par des responsables politiques, promettait des ralliements d’horizons politiques diverses qui n’ont jamais eu lieu (attendait-il le ralliement de Michel Rocard, Bernard Kouchner ou Claude Allègre ?).   Conclusion, François Bayrou n’a pas été qualifié pour le second tour même s’il n’en a pas moins démérité avec ses 18% d’électeurs, soit plus que Raymond Barre en avril 1988. À cela près qu’il n’a pas su les faire "fructifier" pour la prochaine élection présidentielle. Il n’en est pas le seul fautif : au contraire de l’électorat centriste traditionnel (entre 5 et 10%) relativement fidèle et homogène, son électorat était loin de l’être.  

  Forte hétérogénéité de l’électorat centriste  

Comme je l’avais écrit précédemment, ces 18% étaient très hétérogènes, à tel point que les sondages indiquèrent que de ces électeurs, environ 40% auraient voté Nicolas Sarkozy, 40% Ségolène Royal et 20% auraient refusé de choisir l’un ou l’autre (par le vote blanc ou l’abstention). À partir de cette répartition, il restait très illusoire de vouloir faire un parti unique de cet électorat dispersé. La stratégie du "ni droite ni gauche" n’était même pas plébiscité puisqu’il y a eu en gros quatre électeurs de François Bayrou sur cinq qui auraient finalement choisi la droite ou la gauche. Le thème commun était plutôt à comprendre dans le plus personnel "ni Sarkozy ni Royal".   Le Chevalier orange, dont le blog continue d’enflammer la blogosphère centriste, est revenu ce week-end sur le véritable péché originel du MoDem, à savoir le refus de toute alliance législative et donc, l’absence de groupe à l’Assemblée Nationale.    

Stratégie d’alliance, ce qu'il aurait dû se passer…  

Selon lui, une réunion s’était tenue avec les députés UDF juste après le premier tour et tous les présents auraient été d’accord, y compris François Bayrou, pour négocier fermement leur soutien au second tour à Nicolas Sarkozy en obtenant des ministères et beaucoup de circonscriptions pour les législatives qui suivaient. Nul doute que Nicolas Sarkozy aurait réagi de façon conciliante afin de se donner le plus de chances possible.   L’objectif était donc bien d’avoir un groupe de députés bayrouïstes à l’Assemblée Nationale, et des ministres, puis, au cours du quinquennat, pour une raison judicieusement choisie, un démarquage de ces députés, une démission de ces ministres, et un passage dans l’opposition en faisant renaître l’espoir dans le camp de la majorité et de l’opposition pour 2012. Une stratégie qu’avait adoptée Jacques Chirac en 1974 en soutenant la candidature de Valéry Giscard d’Estaing. C’est vrai qu’il a dû attendre vingt et un an pour aboutir à son élection.   Le hic, c’est que Marielle de Sarnez, absente lors de la décision, serait arrivée à la fin de la réunion et aurait retourné la situation en disant qu’il était impossible de soutenir Nicolas Sarkozy au second tour. Le flou continuait au moment où il aurait fallu être le plus clair possible.

    Ou hypothèse d’une lune de miel à gauche ?  

L’autre logique d’alliance, cela aurait été de faire un pacte avec Ségolène Royal entre les deux tours, négocier des circonscriptions éligibles pour les élections législatives. Outre le fait de ne pas être dans la logique "ni droite ni gauche", il y aurait eu un petit côté masochiste à choisir cette logique à gauche dans la mesure où personne ne songeait sérieusement à la victoire de Ségolène Royal à l’issue du second tour.   Le débat entre François Bayrou et Ségolène Royal entre les deux tours étaient surréaliste : il montrait une Ségolène Royal incapable de hiérarchiser ses impératifs de campagne (son adversaire était Nicolas Sarkozy et pas François Bayrou) à qui un tel débat ne pouvait que nuire (notamment en montrant trop clairement les nombreuses divergences de vues avec François Bayrou) et un François Bayrou mauvais joueur refusant d’admettre sa défaite du premier tour.   Ceux qui pensent que le soutien ferme de François Bayrou à la candidature de Ségolène Royal lui aurait donné quelques chances de victoire oublient que les candidats ne sont pas propriétaires de leurs voix et que les électeurs, loin d’écouter leur candidat, n’en font qu’à leur tête selon des logiques aussi respectables que parfois antagonistes. C’est même peu respectueux de la démocratie de croire qu’un candidat qui a échoué soit capable de distribuer ses voix pour un second tour. François Bayrou en avait d’ailleurs conscience en déclarant peu de jours après le premier tour : « Je n’ai pas à choisir à la place des sept millions de Français qui ont voté pour moi. »    

Le problème des outsiders dans les élections  

Ne pas être présent au second tour nécessite forcément une logique d’alliance pour avoir la moindre chance de peser sur les événements en prenant part aux responsabilités. Refuser la bipolarisation de la vie politique dans des institutions d'essence bipolaire (avec l'élection présidentielle), c'était plus idéaliste que réaliste. Donc peu politique. La seule stratégie qui aurait prévalu avant le premier tour était plutôt, loin de la refuser, de déplacer la bipolarité droite/gauche vers une bipolarité de type 1969 (Pompidou vs Poher) droite/centre. Bref, pour François Bayrou, de phagocyter le Parti socialiste. Mais en le disant clairement, pas en proposant une sorte de tripolarisation.   Il était assez logique que François Bayrou ait refusé avant le premier tour de 2007 d’indiquer aux médias ce qu’il comptait faire en cas de non qualification pour le second tour. Jacques Chirac en 1981, Raymond Barre en 1988 et Édouard Balladur en 1995 avaient toujours rejeté cette hypothèse car elle signifiait qu’ils ne partaient pas gagnants dans leur esprit. Et s’ils n’étaient pas convaincus eux-mêmes, comment convaincre les autres ?    

André Santini a refusé le flou interne

  En revanche, ce que le Chevalier orange révèle également, c’est que François Bayrou avait refusé aussi d’en parler avec ses proches lieutenants pendant la campagne. Cette fuite en avant avait de quoi inquiéter les parlementaires qui souhaitaient l’autonomie vis-à-vis de l’UMP mais pas la guerre.   Ainsi, André Santini, député-maire d’Issy-lès-Moulineaux (et futur secrétaire d’État pour deux ans de Nicolas Sarkozy), inquiet par l’absence de réponse de François Bayrou (à la question : "que faisons-nous si nous ne passons pas le premier tour ?") et ne croyant pas aux chances de ce dernier de franchir l’obstacle du premier tour, avait renoncé à le soutenir pour rejoindre dès le premier tour Nicolas Sarkozy (Gilles de Robien également).   André Santini a toujours eu suffisamment de personnalité pour s’opposer à des fortes personnalités issues du RPR le cas échéant. Rappelons en effet que l’UDF de François Bayrou avait misé le 21 mars 2004 sur André Santini pour conduire les listes centristes pour les élections régionales en Île-de-France, listes qui ont obtenu plus de 16% alors que les listes UMP dirigées par Jean-François Copé obtinrent à peine 25%. Pas sûr que le MoDem puisse ce 14 mars 2010 renouveler une telle performance.   Le ralliement d’André Santini à la candidature de Nicolas Sarkozy ne provenait donc pas de sa proximité départementale (il se serait alors rallié bien avant) mais plutôt du flou de stratégie entretenu par François Bayrou auprès de ses proches. Ce flou est apparu dans toute sa "clarté" après le premier tour.  

  La logique implacable de la Ve République  

Faire bouger les lignes politiques. Telle avait été l’ambition de François Bayrou en 2007. Les lignes politiques n’ont finalement pas beaucoup bougé. La bipolarisation s’est même accentuée depuis 2007 par rapport à 2002. À quelques jours des élections régionales, le pays reste toujours divisé en deux blocs, l’un autour du PS et l’autre autour de l’UMP, et ceux qui refusent la logique d’alliance bipolaire s’excluent définitivement de toute participation au pouvoir : le FN et le NPA depuis leur création, et le centrisme façon MoDem depuis 2007.   Mais François Bayrou veut-il vraiment le pouvoir ?   Peut-être voudra-t-il dire, à l'instar du chevalier Bayard : « Je n'ai jamais tourné le dos devant l'ennemi, je ne veux pas commencer à la fin de ma vie. »...