Christian Estrosi, le Don Quichotte de l’industrie

Publié le 03 mars 2010 par Hmoreigne

Difficile d’échapper à Christian Estrosi. Il est partout, multipliant les promesses aux salariés des entreprises en difficulté comme si à l’inverse de ses prédécesseurs le gouvernement, et à travers lui l’État, pouvait désormais tout. En homme du sud, le maire de Nice aime rouler des mécaniques. Une attitude au fond presque naturelle pour un ministre de l’industrie ancien champion de moto. Plus sarkozyste que le président lui-même, Christian Estrosi a pris de son mentor des traits caricaturaux. Notamment, un recours abusif au discours performatif. Parler ne veut pas dire agir. Il manque toujours à la France une politique industrielle.

Son dada à lui, c’est plutôt les politiques sécuritaires musclées. Il rêvait comme ancien conseiller de Nicolas Sarkozy sur la sécurité de l’intérieur, il doit se contenter de l’industrie. Cet autodidacte rebaptisé non sans condescendance par ses collègues motodidacte, s’était illustré, à moins qu’il ne s’agisse de soigner son électorat méditerranéen, en 1991 par sa proposition de loi de rétablissement de la peine de mort puis, en 2002 et 2003 comme rapporteur de la loi sur la sécurité intérieure. Hostile également au PACS, Christian Estrosi, ce n’est pas un hasard, est un fervent admirateur de Napoléon III. Il milite d’ailleurs pour le rapatriement de sa dépouille. De Napoléon le petit, à Nicolas Sarkozy, il n’y a qu’un pas pour ce fidèle du président présenté comme un sarkozyste zélé et opiniâtre.

À peine nommé ministre de l’industrie en juillet 2009, Christian Estrosi avait laissé deviner le style qui serait le sien. « Je serai le ministre des ouvriers », « je veux sauver les industries de ce pays », « je veux oeuvrer pour la compétitivité et la réindustrialisation ».

Une politique des « je » ne constitue pas pour autant une politique industrielle. C’est, ce que lui reproche Benoît Hamon lorsqu’il évoque les moulinets du ministre Estrosi. Le porte parole du parti socialiste est rejoint dans son appréciation par Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, qui accuse le membre du gouvernement de n’avoir « que des mots, pas de ministère » .

Son collègue de la CFDT, François Chérèque est lui allé plus loin en qualifiant dernièrement le maire de Nice de « pompier pyromane » à propos de l’intervention de celui-ci dans le dossier de la raffinerie Total de Dunkerque. En clair, Christian Estrosi est désigné comme étant à l’origine du conflit social en ayant demandé au groupe pétrolier, pour des raisons électorales évidentes, de repousser le comité central d’entreprise après les élections régionales. Voilà qui écorne l’image que tente de véhiculer le ministre qui, le 1er mars encore, au micro de France Inter déclarait «avoir le sens des responsabilités ».

Les « bidouilles » du ministre sont pourtant de plus en plus dénoncées. Les salariés de l’entreprise Heuliez, ont à juste titre le sentiment d’être pris en otage dans la rivalité entre Ségolène Royal et, Christian Estrosi même si celui-ci s’en défend en déclarant la main sur le coeur « moi, je ne fais pas de politique sur ce sujet là ». A Caen, les salariés de ST-Ericsson dont l’Etat est actionnaire attendent que le gouvernement dépasse les déclarations de bonnes intentions pour passer à l’acte.

Toujours au micro de France Inter, le ministre dans un lapsus des plus révélateurs a allègrement confondu Dominique de Villepin et Lionel Jospin : « fut une époque où on disait que fait l’État ? Il restait les bras ballants. C’était l’État de Vilvorde de M. Villepin, l’État ne peut pas tout ».

Désormais l’État stratège dit ce qu’il a à dire affirme le ministre, se prenant au passage pour le nouveau PDG de Renault dont il a rappelé que l’État était l’actionnaire majoritaire. Affichant un optimisme forcené qui va à l’encontre de toutes les prévisions, le ministre n’a guère goûté les propos de Patrick Pélata, directeur général de Renault, lundi dans Libération beaucoup plus sombre sur les perspectives économiques. Il s’en est donc sorti par une pirouette en indiquant que le N°2 de Renault faisait référence à la situation internationale et que lui, évoquait le contexte hexagonal.

Les faits sont pourtant têtus et contredisent de telles affirmations. Le ministère de l’Industrie est loin d’être devenu aussi puissant que prétendu au sein de Renault. La convocation du PDG à l’Elysée le 16 janvier a été très médiatisée mais suivie de peu d’effets. Carlos Ghosn est reparti sans autre engagement que celui déjà connu de maintenir une partie de la fabrication de la Clio 4 à Flins. Présent effectivement au conseil d’administration de Renault, l’Etat n’y compte toujours que deux représentants alors que sa qualité d’actionnaire principal pourrait lui donner droit à six. Quant à l’option d’en nommer quatre supplémentaires, retenue un temps, elle a été abandonnée.

Le verbiage du ministre cache une situation très dégradée de l’industrie française. On ne manquera pas à cet égard de consulter la note de Stéphane Israël « Pour une nouvelle politique industrielle » réalisée pour le compte de la fondation progressiste Terra Nova .

Depuis 10 ans, l’emploi industriel dans les pays industrialisés a reculé de 20 à 25 %. Ce phénomène a été renforcé par la crise. En 2009, 40 % des suppressions de postes l’ont été dans l’industrie. Le niveau de l’emploi industriel n’a jamais été aussi bas : aux alentours de 13 % en France, 9 % aux États-Unis. Il ne semble pas pourtant qu’il y ait de fatalité à la désindustrialisation. Notre voisin allemand en constitue le meilleur exemple mais, après en avoir acquitté chèrement le prix par un contrôle strict du coût du travail et un fort investissement. Stéphane Israël pense pourtant que la durabilité des performances allemandes est sujette à caution.

Stéphane Israël estime qu’il y a urgence à construire en France et en Europe une nouvelle politique industrielle adaptée aux défis de l’économie du XXIe siècle, renouvelée dans ses méthodes et dans son échelle d’intervention. Il invite notamment à rompre avec trois idées dominantes : que l’économie pourrait se passer de l’industrie, que l’industrie pourrait se passer de l’état, que les états pourraient jouer le chacun pour soi en matière de politique industrielle au sein d’une Europe dominée par les seuls impératifs de la monnaie et de la concurrence.

Passé le temps des fanfaronnades, on ne peut qu’inviter notre ministre à réfléchir et à méditer autour des propositions de la fondation terra nova, au nom du principe selon lequel la réflexion doit précéder l’action.

François Chérèque : “Estrosi joue les pompiers-pyromanes”
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