Summertime

Publié le 04 mars 2010 par Laurelen
Ma chère et tendre cousine. Ce soir, j'ai pensé à toi. Il pleuvait sur Saint-Pierre, pas de ces pluies glacées que tu déteste, non, de ces chaudes ondées dont notre été aime à nous dispenser. De celles qui mouillent les cheveux des hommes et font onduler ceux des femmes, qui collent les tissus sur la peau et nous rendent désirables.
Je sais que toi tu sors juste de ton hiver, et que tu as vécu la tempête, comme ils disent de l'autre côté de la mer. Ta maison, se peut, a été inondée, et somanké (pardonne ici l'usage de notre parler enfantin, qui est aussi langue de grandes personnes) cela t'a fait souvenir de nos peurs d'autrefois, quand le toit menaçait de se rendre aux vents hurlants du cyclone, quand les murs tremblaient, que nous étions serrés l'un contre l'autre dans le noir, avec comme seul compagnon, le transistor. Précieux médium qui nous reliait au monde, avec des voix chaudes venues de si loin, et qui nous racontaient des histoires. T'en souvient-il, comme nous nous serrions, tandis que le vent criait comme une furieuse banshee ? Te rappelle-tu quand nénène nous disait en riant que le cri du vent était celui de la colère de Grand-mère Kalle ?
Et au matin, les arbres démembrés, les toits envolés, les voitures chavirées... Et nos coeurs qui battaient fort parce qu'on avait l'impression d'avoir survécu à un grand danger.
Ma belle lectrice, je lis ici et là que des hommes et des femmes sont morts, en France, parce que le vent, la mer, la pluie, se sont ligués contre l'humanité. Je lis aussi qu'on a construit des maisons là où elles ne devaient pas l'être. Que la cupidité de certains hommes a causé la mort d'autres hommes. Comme si souvent.
En Haïti, des dizaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, sont morts aussi. Et au Chili. La nature se révolte. Mais la nature, comme Dieu, a bon dos. Elle ne dit rien quand l'homme l'accuse de ses propres crimes. Ou, si elle se plaint, c'est par le hurlement du vent dans les filaos.
Ce soir, chère et lointaine cousine, j'ai pensé à toi. Alors que la pluie battait le front de mer de Saint-Pierre, deux guitaristes jouaient "Summertime". Tu me disais, quand tu avais quinze ans, que c'était le plus beau morceau du monde. Je te crois à présent. Tu me manques terriblement, comme me manquent nos peurs enfantines. Ecoute le vent. Et regarde la mer. Je suis juste en face. De l'autre côté.

François GILLET