Paris Photo

Publié le 17 novembre 2007 par Marc Lenot

La visite d’un salon comme Paris Photo, qui finit demain, est faite d’agréables retrouvailles (tiens, je vois enfin cette photo de Bill Brandt en vrai, tiens voilà le nouveau travail de Lara Baladi, tiens je n’avais pas idée que Susan Hiller avait fait ça en 1983, et bien d’autres), de beaucoup de nouveaux contacts intéressants et prometteurs (j’en cite un parmi plusieurs dizaines, Luca Campigotto et les traces humaines dans ses paysages extrêmes) et de deux ou trois rencontres importantes. C’est de celles-ci que je veux parler ici.

 

Tout d’abord, sur le stand de la galerie Edwynn Houk (F2), le travail de la Marocaine Lalla Essaydi : ses femmes (Women of Morroco, ici n° 19) plus ou moins voilées se fondent dans le fond, dans le décor, y disparaissent presque. Elles sont vêtues du même tissu que le lit sur lequel elles reposent alanguies, du même tissu que celui qui orne les murs ou tombe en rideaux. Et ce tissu, celui qui enveloppe leur corps comme celui de la pièce qui les contient, est écrit, couvert de texte en calligraphie arabe; ce texte recouvre même les rares portions de chair visible, visage, mains ou pieds. Le texte est omniprésent, envahissant, c’est le texte du dogme, des règles et des interdits, qui pénètre la vie et le corps des femmes, qui leur nie toute individualité, toute liberté. Mais la calligraphie, art masculin, est ici détournée par l’usage du henné, affirmation féminine. Mais la pose et le regard, comme d’une odalisque moderne, affirment envers et contre tout une féminité indomptable. Mais la facture même de la photo, composée, construite et “peinte”, signe aussi une rébellion, un refus, une volonté. Et c’est très beau.

 Les photos de Tania Mouraud ont été ôtées du blog, selon les exigences de l’ADAGP.

Regardez maintenant ces photographies de paysages, hugoliens, impressionnistes, presqu’abstraits. Regardez leur lumière, leurs reflets, leur chatoiement, mais aussi les plis qui semblent marquer leur surface, leur texture tourmentée, bousculée, griffée, froissée, ravinée. Cela vous fait-il rêver aux châteaux rhénans, au jardin de Giverny ? ou bien à un tableau de Jasper Johns, de John Virtue ? Le don unique de l’artiste, c’est de voir ce que nous ne voyons pas, de déceler l’once de beauté là où nous n’avions vu que la tonne de banalité, d’arrêter soudain son pas et son regard là où nous serions passés indifférents. Voici le dernier travail de Tania Mouraud, titré Borderland, sur le stand de Dominique Fiat (L1). Ce sont des photos de reflets du paysage environnant dans ces énormes ballots en plastique noir qui servent désormais à envelopper la paille ou le foin dans la plupart des campagnes françaises. Nous les avons tous vus, et nous ne les avons jamais regardés. Et c’est très beau. 

La photographie ci-contre aurait rehaussé le débat à la Hayward Gallery. C’est la photo d’un tableau, et c’est la mort de la peinture. Elle est ronde, comme un tableau, avec un cadre, peut-être photographié, peut-être réel, comme un tableau. A l’intérieur du cadre, une toile peinte, ou plutôt la photo d’une toile peinte. Mais le sujet a disparu, on devine encore un arbre, peut-être une montagne. Comme dans tant de vieux tableaux mineurs, il aurait pu disparaître sous la crasse ou le vernis, sous trop de noirceur. Mais, ici, il a disparu dans la lumière. Silvio Wolf en a fait une Icône de Lumière (stand Fotografia Italiana Arte Contemporanea, F9). Elle pourrait figurer, intriguant mais sans déparer, dans une galerie de peinture, à côté de toiles de maîtres anciens. Silvio Wolf photographie la lumière, toujours. Son site montre bien d’autres aspects de son travail, mais cette photo éblouissante m’a paru si emblématique, si puissante que je n’ai pu m’en détourner. Et c’est très beau. 

Photos Borderland de Tania Mouraud : courtoisie Tania Mouraud et Dominique Fiat, copyright ADAGP. Conformément aux exigences de l’ADAGP, ces photos ont été retirées du blog.