Comment quitter son entreprise sans indemnités

Publié le 08 mars 2010 par Pierre

Jean-Louis prend quelques notes, puis s’arrête. Il relève la tête, parcourant du regard les visages disposés autour de la table. Ce panorama le déprime. Corliss, chef de la division achats, Fuller, le comptable, Fenouillard, la présidente du directoire, et puis, bien sûr, Martinot, le président directeur général. Sacrée brochette, quand même.

Dans moins de 10 minutes, ça va être son tour. Il feuillette nerveusement son support de présentation… pas trop sûr de lui, il n’a pas suffisamment préparé son intervention… et puis il n’est pas dans son assiette… hier soir, un repas lourd chez des amis, trop arrosé… il se sent ballonné ce matin, presque un peu patraque. Il lâche un pet discret.

Fischer, responsable du service des commandes, est au micro. Son double menton tremblote un peu, il agite frénétiquement ses mains porcines. Plus que 3 minutes.
Jean Louis n’écoute pas Fischer, il relit ses notes. Son ventre gargouille. Se demande s’il devra se lever pour parler – plus de prestance oui, mais comment lire ses notes, le micro à la main ? Non, il vaut mieux rester assis.

Bon, ça va être son tour. Fischer termine son intervention dans l’apathie générale. Jean Louis va lâcher un petit dernier, discret… sauf que ça gargouille vraiment… il y a un risque, c’est certain… mais il aime cette prise de risque, ce sentiment de marcher sur la corde raide… il jette un coup d’œil circulaire… allez tiens ça va être à moi de parler le président me regarde tout le monde me regarde et – PLOP – catastrophe.

Jean Louis a chié dans son froc. La couche est pleine.

En une fraction de seconde, une succession d’impressions traverse sa conscience. D’abord, la stupéfaction. Jamais au grand jamais ça ne lui est arrivé, qu’est ce qui vient de se passer ? Puis, un profond sentiment de souillure, de déchéance, de honte. Rapidement remplacé par l’impression d’être en train de sauter du haut de la falaise, sans possibilité de retour. Tout est foutu, comment se sortir de cette situation impossible ? Et puis, inexplicablement, un sentiment d’euphorie, comme une libération.

Jean Louis regarde les visages fixés sur lui.

Du coin de l’œil, il aperçoit sa voisine qui commence à froncer les sourcils et plisser le nez.

Comme un signal.

D’un bond, Jean Louis se lève de sa chaise, arrache son pantalon et son caleçon pleins de merde, puis, cul nu il entame une danse grotesque sur la table, agitant comme un lasso son froc puant, et beuglant :

AU RE-VOIR, PRESIDENT

AU RE-VOIR, PRESIDENT

AU RE-VOIR, PRESIDENT