Goulag, une histoire

Par Ivredelivres

Goulag une histoire - Anne Applebaum - Traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat - Editions Grasset ou Gallimard Folio
Goulag de Iossip Pasternak et Hélène Châtelain  DVD Arte la sept Doriane film


Un seul sujet mais deux façons d’entrer dans ce monde du Goulag russe. Je suis allée de l’un à l’autre, l’un éclairant l’autre, et pour moi aujourd’hui ils forment un tout.
Mon intérêt pour ce sujet est ancien, il remonte à un jour d’Août 1967, j’étais jeune et je séjournais chez des amis tchèques dans une petite ville proche de Prague, au retour d’une balade en voiture. En approchant de leur domicile mon ami s’est figé et a dit « Arrêtez-vous ! ». Sur la place une voiture de police était stationnée, sa peur était palpable, quelques minutes passèrent, puis nous sommes repartis, ce n’était pas pour lui, ni pour sa famille, que la police était là.
Jamais je n’ai oublié la peur de cet homme, la quasi terreur qu’il avait ressentie, j’avais compris en quelques minutes ce que "régime policier" veut dire. Au mois d’août de l’année suivante les troupes russes entraient en Tchécoslovaquie pour mettre fin au Printemps de Prague.
Ensuite ce furent la lecture des écrits de Soljenitsyne, Eugenia Ginzburg et Varlam Chalamov.
Anne Applebaum, elle, a écrit une histoire du goulag, l'histoire des camps de concentration soviétiques : leur origine avec la révolution bolchevique, leur essor et leur apogée sous Staline, leur mutation avec ses successeurs, leur arrêt en 1986, sur décision de Gorbatchev, petit-fils d'un paysan emprisonné.
En se rendant sur les lieux historiques de "L’archipel du Goulag", Iossif Pasternak et Hélène Châtelain donnent la parole aux victimes des déportations, à leurs descendants, aux témoins. Je leur laisse la parole :
"Ce voyage fut une tentative pour échapper aux convictions toutes faites. Pour s’enfoncer dans une Russie différente, plus profonde, plus secrète, celle des silencieux qui n’ont écrit ni mémoires ni témoignages, le petit peuple des villages et des ateliers qui a constitué pendant près de 40 ans, la population majoritaire des camps. (...) Nous avons choisi de nous limiter aux grands camps du Nord, les plus extrêmes, les plus mythiques : des îles Solovki, au milieu de la Mer Blanche, au Nord Ouest jusqu’à la Kolyma –le Nord Est polaire qui, à 5000 kilomètres de là, touche à l’Alaska"

Le monastère des Solovki

La Russie des Tsars avait déjà envoyé en Sibérie ou à Sakhaline bon nombre d’être humains, mais le régime soviétique va l’ériger en système.
Goulag est un acronyme de Glavnoe Oupravlenie Laguereï, la direction générale des camps. Le premier camp est créé sur les îles Solovki en 1920, aux confins de la Russie au bord de la mer Blanche. On utilise le monastère des moines, véritable forteresse.
Les premiers prisonniers sont des officiers de l’armée blanche, des hauts dignitaires de l’église, réfractaires au pouvoir, grands criminels, des marins ayant pris part à des révoltes comme à Cronstadt.
A la création du camp, le pouvoir soviétique n’a pas l’intention de détruire l’économie du monastère, il compte même lui donner une impulsion nouvelle. Le pouvoir propose d’organiser les solovki en camps de travail, les conditions sont favorables : une vie dure, un régime strict : bonne école pour les détenus.
La vie quotidienne est terrible, le froid, la faim, les châtiments corporels et les actes sadiques des gardiens.
L’administration est loin et curieusement des espaces de liberté sont conservés, les détenus montent des spectacles et même, comme le racontent deux charmantes vieilles dames à Hélène Chatelain, sortent pour se rendre aux obsèques de Kropotkine.
Anne Applebaum écrit " Solovetski, le premier camp soviétique conçu et construit pour durer, se développa sur un véritable archipel".
Soljenitsyne en fera son "Archipel du Goulag".
En 1921, on dénombrait déjà quatre-vingt-quatre camps.

« des îles de la mer Blanche aux côtes de la mer Noire, du cercle Arctique aux plaines d'Asie centrale, de Mourmansk au Kazakhstan, du centre de Moscou aux faubourgs de Leningrad  »


1929 Staline entreprend la collectivisation et l’industrialisation du pays. Le régime recourt au travail forcé, l’exemple le plus frappant est l’ouverture du chantier de Belomorkanal. Désormais au froid, à la faim et aux mauvais traitements va s’ajouter l’épuisement par le travail. Varlam Chalamov écrit  "Il suffisait de vingt à trente jours d’affilée de journées de travail de seize heures sans jours de repos, associés à la faim systématique; des vêtements en haillons et des nuits à moins 18° au-dessous de zéro sous une toile de tente trouée pour transformer en crevard un jeune homme sain".
1937 La ligne de partage des eaux. " C’est en effet cette année-là que les camps soviétiques se transformèrent temporairement de prisons gérées dans l’indifférence, où l’on mourait par accident, en camps réellement meurtriers où l’on tuait délibérément les détenus au travail, quand on ne les massacrait pas"
Zek, c’est le nom que l’on donne aux détenus à partir de 1937. Les détenus vont travailler dans tous les secteurs : mines de charbon mais aussi mines d’or, construction de lignes ferroviaires, industrie et même aéronautique, exploitation forestière.
La  Grande Terreur va augmenter considérablement le nombre de détenus, n’importe quel citoyen peut se retrouver au goulag : koulaks, vieux bolcheviks, trotskistes, poètes, écrivains, artistes... On ouvre les camps de la Kolyma pour extraire l’or, ce qui avait toujours été impossible en raison des difficultés climatiques. Des milliers de détenus y trouveront la mort.

La Kolyma

La Seconde Guerre mondiale n’a pas freiné l’extension du Goulag et Anne Applebaum parle d’apogée pour les années 40 et 50.
On estime qu’à cette époque les camps  produisaient un tiers de l’or du pays, une bonne partie de son charbon et de son bois d’œuvre.
La mort de Staline en 1953 puis l'arrivée de Khrouchtchev voit diminuer le nombre de détenus, Mais Brejnev les remplit à nouveau. C'est l'époque des dissidents et la publication de « L'Archipel du Goulag », en 1973.
Il faudra encore attendre vingt ans et Gorbatchev pour en finir avec le goulag.

L’histoire chronologique, pour indispensable qu’elle soit, ne rend pas justice à ces hommes et à ces femmes.
Anne Appelbaum dans son livre, Hélène Châtelain et Iossip Pasternak dans leur film s’attachent aux témoignages, à la description de la vie quotidienne, les arrestations, les châtiments, les conditions de travail, tous les temps qui rythment la vie au Goulag sont évoqués.
Dans le film on écoute un vieil apiculteur paysan koulak qui resta prisonnier de 1920 à 1956 et qui en 1998, lors du tournage du film, récolte encore son miel. Tel autre parle, assis sur une colline, des milliers d’hommes enterrés là sous lui, cette femme qui raconte comment enfant elle a vu mourir dix prisonniers pour chaque traverse de chemin de fer posée.
L’histoire terrible de l’acheminement du matériel par péniches halées par des prisonniers sur des centaines de km, filmée par l’administration du camp, est un des passages du film le plus fort. Un ancien du Goulag était capable de reconnaître « à leur regard » d’anciens détenus après leur libération.

Ossip Mandelstam : une victimes parmi des millions

18 millions d'individus en ont été victimes, plus de 4 millions n'en sont pas revenus  En 1995 on estimait qu’un adulte soviétique sur 7 était passé dans un camp.
"En Allemagne, on pouvait mourir de cruauté, en Russie de désespoir. A Auschwitz, dans une chambre à gaz ; dans la Kolyma, de froid dans la neige." dit Anne Appelbaum.


Le travail extraordinaire d’historienne d’Anne Appelbaum lui valut le prix Pulitzer, son livre est passionnant, clair, les sources multiples et riches.
Le film, bien que datant des années 90, n’a rien perdu de son actualité et de sa très grande sensibilité.
Un dossier sur ce film   Goulag.pdf
Il y a des pans de notre histoire que nous nous devons d’explorer et de comprendre,

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