Le cinéma asiatique n’a pas été une évidence pour moi. Je mentirais si je disais que le premier film asiatique que j’ai vu m’a fait tomber amoureux de la cinématographie du continent. Je mentirais aussi si j’affirmais me rappeler parfaitement quel fut le premier film asiatique à m’être passé sous les yeux. Les premiers coréens oui, car l’arrivée du cinéma coréen dans les salles françaises est plus tardive (à quelques exceptions près)… mais les autres…
Par contre s’il y a bien une chose dont je me souviens de mes débuts cinéphiles, c’est de la présence de Takeshi Kitano dans les environs. La chronologie est plus floue dans mon esprit, car à cette époque le cinéma asiatique était une dense forêt que j’avais bien du mal à appréhender. Mais au milieu de ces années 90 d’où j’ai émergé en tant que cinéphile, Kitano était un grand nom du cinéma mondial, en pleine expression de son talent.
Ma rencontre suivante avec Kitano s’est donc faite sur Hana Bi, auréolé d’un prestigieux Lion d’Or à Venise en 1997. Mai le garçon de 16 ans que j’étais avait plus été impressionné par la mise en scène virevoltante de Volte/Face de John Woo, vu quelques jours plus tôt, que par le scénario alambiqué du film de Kitano. Je me souviens clairement m’être demandé ce qu’on pouvait bien trouver d’extraordinaire là-dedans.
En fait j’ai attendu les dernières heures de la décennie pour retrouver des images indélébiles dans le cinéma de Kitano. Une première fois à la Fête du Cinéma de juin 1999. Un week-end à l’UGC Ciné Cité des Halles (déjà) pendant la Fête du Cinéma, une expédition folle que je n’oserais plus tenter aujourd’hui, mais qui me plaisait bien à 17 ans, et que nous avions tentée avec mon pote Ilyess. Et aux Halles, un jour de Fête du Cinéma, on ne choisit pas vraiment ce qu’on va voir. On dégote une place là où il y en a. Et nous avons eu droit à A scene at the sea, un Kitano datant de 1991 mais qui trouvait seulement le chemin des salles obscures françaises.
Un film quasi muet, sur une plage japonaise, entre deux vagues. Un moment
Voilà plus de dix ans que Kitano a réalisé L’été de Kikujiro. Les années 2000 suivirent, et avec elles je ne retrouvai jamais le Kitano des années 90. Le cinéaste japonais se perdit à mes yeux dans un cinéma trop vaporeux (Dolls), attendu (Zatoichi) ou fermé (Takeshi’s).
Cette année, c’est une nouvelle décennie qui commence, pour Kitano comme pour tout le monde. Et en 2010, Kitano est plus incontournable que jamais dans le paysage culturel français. Une exposition à la Fondation Cartier courant jusqu’en septembre. Une rétrospective intégrale au Centre Pompidou, jusqu’en juin. Et un nouveau film, datant de 2008, mais qui nous parvient seulement maintenant. Achille et la Tortue. Un film auquel je me suis rendu avec tout le scepticisme d’un spectateur déçu depuis une dix ans par le cinéma de Kitano. Mais finalement un film dont je suis sorti avec la joie et la conviction de découvrir le meilleur film de Kitano depuis L’été de Kikujiro.
Vivre sa vie à travers sa passion, oubliant de regarder ce qui se passe autour autrement qu’en tant que matériel à la création. Courir après la reconnaissance durant toute son existence. Fuir la réalité qui nous entoure, une réalité faite de découragement, de renoncement, de mort, pour ne pas sombrer soi-même. Choisir de ne pas s’arrêter à ce goût d’amertume qui parcourt la vie, pour sans cesse rebondir et trouver ce parfum de bonheur et de réussite auquel on aspire tous.
Kitano a mis beaucoup de lui-même dans ce film, à n’en pas douter. Lui, cet amuseur public, artiste
La lumière du nom Kitano commençait à décliner dans mon panthéon ciné, depuis trop longtemps. Et pourtant il suffit d’un film pour rallumer la flamme, un Achille et la tortue, pour booster l’envie de dévorer les films qui me manquent au cours de la rétrospective qui commence ces jours-ci à Beaubourg. Rattraper ces films qui jusqu’ici m’ont échappé. Kitano et moi, ce n’est pas fini. Le maître a encore quelques films à me montrer.