N’importe quelle personne a déjà entendu la phrase « cet échantillon a été daté au carbone-14 … » de la bouche d’historiens, de géologues, d’anthropologues ou d’archéologues. Mais c’est quoi le carbone-14 ? Quelle est la différence avec ce bon vieux carbone contenu dans nos mines de crayons de papier ? De plus, n’avez-vous jamais remarqué que les fossiles de dinosaures n’étaient JAMAIS datés avec ce fameux carbone-14, mais pourquoi donc ?
La radioactivité
Toute la matière qui nous entoure est composée d’atomes. Certains de ces atomes sont dit « stables » et demeurent invariants dans le temps, contrairement aux atomes dit « instables » qui viennent se désintégrer pour se transformer en d’autres atomes. Ce phénomène de désintégration porte un nom qui peut faire peur : la radioactivité !
Lors de ces désintégrations d’atomes instables, un rayonnement qualifié de « radioactif » est émis et c’est lui qui peut être dangereux pour l’homme. Mais pas de panique tout de même, la radioactivité est un phénomène naturel et nous vivons au milieu de nombreux éléments radioactifs inoffensifs pour l’homme à faible dose. A chaque seconde, des millions d’atomes de notre environnement se désintègrent pour en former d’autres par le phénomène de radioactivité naturelle. Cependant, certains éléments naturellement radioactifs peuvent être extrêmement nocifs pour l’homme lors de simples expositions comme le radium par exemple, découvert par Marie Curie et ayant entrainé sa mort (les rayonnements issus du radium, encore inconnu à cette époque, avait provoqué une leucémie).
Il existe aussi des éléments radioactifs issus de réactions nucléaires faites par l’homme pour produire de l’énergie dans les centrales nucléaires ou pour faire des bombes. Dans ce cas, on parle de radioactivité artificielle. La radioactivité artificielle fait généralement intervenir des atomes massifs avec des rayonnements radioactifs intenses qui sont extrêmement nocifs pour l’homme.
Les isotopes
Chaque élément qui nous entoure peut se présenter sous différentes formes selon la structure de son noyau atomique. Le noyau d’un atome est fait de protons et de neutrons normalement en nombre égal. Cependant, il existe des éléments dérivés ayant un nombre de neutrons différents et que l’on appelle isotopes. Ces éléments ayant le même nombre de protons mais un nombre différent de neutrons ont les mêmes propriétés chimiques et paraissent semblables mais ont une masse différente pouvant parfois entrainer des instabilités du noyau et les rendre ainsi radioactifs.
Exemple avec le carbone :
- Le carbone « normal » présent dans nos mines de crayons de papier possède 6 protons et 6 neutrons, soit 12 nucléons. On l’appelle alors « carbone-12 » ou « carbone » tout court.
- Il existe un isotope avec 2 neutrons supplémentaires (6 protons et 8 neutrons, soit 14 nucléons) appelé en conséquence « carbone-14 » ou encore « radio-carbone » car cet isotope est radioactif.
A ce jour, 117 éléments chimiques dans le tableau de Mendeleïev ont été observés (les plus lourds ont été créés artificiellement) et 2934 isotopes sont recensés par l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA). Tous les éléments possèdent des isotopes qui peuvent être stables ou instables. Presque tous les éléments possèdent un isotope stable entre l’hydrogène-1 et le bismuth-83 et ensuite, tous les atomes plus lourds sont instables. On peut observer jusqu’à 30 isotopes pour un même élément mais la plupart sont instables.
Le carbone-14 dans un extrait de la table des isotopes fournie par le Services des Données Nucléaires de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique.
Voir la Table des isotopes dans Wikipédia
Voir la Table des nucléides de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique
Le principe de la datation radiométrique
Tous les isotopes instables (et donc radioactifs) sont appelés des radio-isotopes car ce sont des isotopes radioactifs (on trouve également les termes synonymes radionucléides et radioéléments).
Les radio-isotopes présents sur Terre se désintègrent donc au fur et à mesure dans le temps mais certains peuvent être également créés par des réactions nucléaires naturelles dans notre atmosphère. L’idée de la datation radiométrique est de comparer la quantité de plusieurs radio-isotopes dans des échantillons de manière à retrouver l’époque à laquelle ils ont été formés.
Le radio-isotope le plus célèbre pour la datation est le carbone-14. Notre atmosphère possède une concentration constante de carbone-14 dans le temps, ceci signifie qu’il y a autant de carbone-14 qui se désintègre que de carbone-14 qui se créé dans notre atmosphère : lorsqu’un neutron énergétique venu du cosmos vient « frapper » un atome d’azote de l’air, ce dernier se transforme en carbone-14 et un proton est expulsé en même temps.
Le cycle du carbone-12 et du carbone-14
(source : Pierre-André Bourque, Planète Terre)
Toutes les plantes absorbent du carbone contenu dans l’atmosphère (du carbone-12 et du carbone-14 de manière indifférente) et la chaine alimentaire fait que tous les animaux et les hommes en contiennent également. Lorsqu’un organisme vivant meurt, le carbone qu’il contient est piégé et seule la proportion de carbone-14 va diminuer à cause de la désintégration de ce dernier qui est un isotope radioactif.
Les radio-isotopes se désintègrent plus moins vite selon une exponentielle décroissante (voir la figure ci-dessous). Chaque radio-isotope possède une propriété appelée « demi-vie » ou « période radioactive » qui correspond au temps nécessaire pour que la moitié d’une population de ce radio-isotope se désintègre. Dans le cas du carbone-14, cette demi-vie est d’environ 5730 ans.
Evolution du nombre d’atomes de carbone-14 dans le temps
Pour dater un échantillon organique (comme un os d’homme préhistorique par exemple), il suffit alors de « compter » le nombre d’atomes de carbone-12 et de carbone-14 et d’en déduire combien de temps s’est écoulé depuis que cet organisme est mort. La proportion normale de carbone-14 par rapport au carbone total est d’environ 14C/C = 10-12. Ceci signifie qu’il y a 1 atome de carbone-14 pour mille milliards d’atomes de carbone dans un organisme vivant !
Exemple : Si dans un échantillon, on mesure 10 milles milliards d’atomes de carbone, il devait y avoir 10 atomes de carbone-14 lorsque cet organisme est mort. Si aujourd’hui, on dénombre seulement 5 atomes de carbone-14, cet échantillon sera daté de 5730 ans car la moitié des atomes de carbone-14 auront été désintégrés !
Les instruments de datation
Les 2 principales méthodes utilisées pour dater des échantillons organiques contenant du carbone-14 sont la scintillation liquide et la spectrométrie de masse.
La scintillation liquide consiste à « compter » des produits de la désintégration du carbone-14. Ce dernier se désintègre naturellement et émet un neutron et un électron un peu spécial surnommé particule « beta moins » (désintégration β-). La scintillation liquide consiste alors à placer un mélange scintillant qui va venir émettre un photon à une énergie bien précise qui pourra ensuite être détecté par un système électronique lorsque cette fameuse particule beta la traversera.
La spectroscopie de masse consiste quant à elle à « compter » les atomes de carbone-12 (stable) et de carbone-14 (radioactif) directement grâce au fait que ces 2 isotopes ont des masses différentes. Cependant, comme la proportion de carbone-14 est extrêmement faible, le spectromètre de masse doit être couplé à un accélérateur de particules permettant alors de mettre en place des techniques de détection beaucoup plus fiable.
Pour plus d’info sur ces deux techniques, je vous conseille de visiter le site du centre de datation par le radiocarbone de Lyon (CNRS).
La fiabilité de la méthode
Comme toute méthode scientifique expérimentale, la datation au carbone-14 peut subir des biais expérimentaux qu’il faut prendre en compte de manière à effectuer des datations précises.
Depuis la révolution industrielle, l’homme a produit du carbone-12 en très grande quantité via son industrie (mais pas de carbone-14), ce qui a pour effet de modifier le rapport entre le carbone-12 et le carbone-14 dans notre atmosphère. A contrario, les premiers essais thermonucléaires dans l'atmosphère ont produit de très grandes quantités de carbone-14. L’homme a donc « déréglé » le cycle du carbone et donc déséquilibré la proportion de carbone-14 durant le siècle dernier ce qui rend la datation au carbone-14 difficile pour le 20ème siècle. Si on effectuait une datation au carbone-14 sur un arbre au bord d’une autoroute, on pourrait le dater vieux de 2000 ans à cause de sa grande concentration en carbone-12 absorbé à cause des rejets des pots d’échappements des voitures.
De plus, des évènements géologiques majeurs comme des éruptions volcaniques ou des grands feux de forêt ont pu dégager une très grande quantité de carbone-12 dans l’atmosphère déréglant également la proportion de carbone-14 dans certaines régions à certaines époques.
Cependant, l’histoire de la Terre est de mieux en mieux connus et les résultats bruts obtenus par les analyses de carbone-14 sont ajustés par des courbes de calibration réalisées par d’autres méthodes de datation. La dernière courbe de calibration s’appelle InitCal04 et permet de corriger précisément les données obtenues par analyse de carbone-14 jusqu’à 26 000 ans calendaires (26000 ans depuis aujourd’hui, soit 24000 ans av. JC). D’autres courbes peuvent néanmoins faire des corrections jusqu’à 50 000 ans comme CalPal
Dérive des dates obtenues par analyse de carbone-14 par rapport aux âges calendaires obtenus par la méthode uranium - thorium sur des coraux
Et les dinosaures dans tout ca ?
Les dinosaures sont apparus il y a 250 millions d’années et se sont éteints il y a 65 millions d’années. Les traces de carbone-14 de cette époque ont complètement disparues. La plupart des chercheurs estiment qu’au-delà de 30 000 ans, il y a trop peu de carbone-14 restant pour permettre une datation précise. Il faut donc utiliser d’autres isotopes, ayant une durée de vie beaucoup plus longue.
Dans le cas des dinosaures, on utilise les isotopes d’uranium-238, d’uranium-235 et de potassium-40 qui possèdent des durées de demi-vie supérieures au million d’années. Le problème est que les os et les fossiles n’absorbent pas ces isotopes mais en revanche, les roches et les sédiments environnant le peuvent. L’idée est donc la suivante : on utilise la radiométrie sur les sédiments entourant les fossiles pour les dater à l’aide d’un radio-isotope approprié (style potassium-40) ce qui permet ensuite de donner une fourchette sur l’âge du fossile contenu dans ces sédiments.
D’autres techniques de datation ont permis de conforter les résultats obtenus à l’aide de ces méthodes en analysant des échantillons d’acides aminés ou les changements du champ magnétique terrestre au cours du temps.