Chanson des trois éléphants rouges (Edmond Jabès)

Par Arbrealettres


Trois éléphants rouges rient
Au seuil d’une librairie.

Trois éléphants et la rue
Une perle et la charrue.

Entrez, fous et médecins,
On gracie les assassins.

Trois éléphants et trois marches
De plain-pied dans la débâcle.

Et, putains aux yeux de verre,
Trois cent mille réverbères,

Entrez, violeurs et saints,
On fête les assassins.

Trois éléphants rouges pleurent
Au bas de notre demeure.

Trois éléphants, l’avenue
Et, belle, une fille nue.

Entrez, vieux metteurs en scène.
Trois beaux éléphants obscènes.

Trois éléphants de la nuit
Un cœur tendre et leur ennui.

Entrez, menuisiers de cendres,
J’ai du bois à en revendre.

Il se prépare un grand feu
Pour les pierres et les cheveux.

Entrez, pauvres et monarques,
Tireurs de frondes et d’arcs

Tireuses de cartes, moites
Dans le vent et dans les boîtes.

Soirées de miel et d’orgies
Pour le sol et les bougies.

Entrez, bonnes fées et faunes,
Ogre, satyres aphones

Jours d’été striés de plumes
Qu’une seule abeille allume

Trois éléphants sur un banc,
Un aigle et le matin blanc.

(Edmond Jabès)