L'ÉGYPTOLOGIE TCHÈQUE : V. L'INSTITUT ET LES FOUILLES D' ABOUSIR - 1. MIROSLAV VERNER (Première partie)

Publié le 27 mars 2010 par Rl1948

   Plus personne n'ignore, je présume, qu'à la IVème dynastie, les premiers souverains égyptiens à se faire construire une pyramide en guise de "maison d'éternité" choisirent le plateau de Guizeh, objectif maintenant obligé de millions de touristes qui visitent le pays.    On sait peut-être un peu moins que, les trois plus célèbres mises à part, celles de Chéops, Chéphren et Mykérinos, des dizaines et des dizaines d'autres virent le jour, plus au sud pour la majorité d'entre elles et ce, jusqu'à la XIIème dynastie, au Moyen Empire : pendant un bon millénaire, donc, rois et souvent épouses, recoururent à ce mode d'ensevelissement avant de préférer, au Nouvel Empire, les profondeurs de la montagne thébaine - dont la forme, par parenthèses, avait bizarrement un aspect plus ou moins pyramidal -, pour y faire aménager des hypogées, plus discrets, partant, moins susceptibles d'être pillés, donc leur permettant de définitivement reposer en paix, - à tout le moins l'espéraient-ils.      Enfin, et pour être complet, je me dois d'ajouter qu'un millénaire plus tard à nouveau, entre 750 et 650 avant notre ère, encore bien plus au sud, les pharaons éthiopiens de la XXVème dynastie et leurs successeurs qui régnèrent au Soudan jusqu'au IVème siècle de notre ère reprirent à leur usage le tombeau pyramidal, mais nettement plus petit - une trentaine de mètres de hauteur - et architecturalement reconsidéré : j'ai eu l'opportunité ici de déjà les évoquer à propos de Frédéric Cailliaud, tout en attirant l'attention sur le fait que, depuis hier, le Louvre, 13 ans après l'Institut du Monde arabe, propose jusqu'au 6 septembre 2010  (d'après le site du Musée - ce qui me paraît anormalement long puisqu'il est de tradition que semblable événement dure quelque trois mois) une grande exposition précisément consacrée à Méroé.    Je profite par parenthèses de l'occasion qu'il m'est donnée d'évoquer cette importante manifestation pour simplement préciser que toute la presse, pourtant unanime mais apparemment amnésique, qui la présente comme un événement sans précédent se trompe magistralement : en 1997, à l'Institut du Monde arabe à Paris, j'ai eu l'occasion de visiter celle consacrée aux royaumes soudanais sur le Nil qui, brassant certes en plus des notions telles que Groupe A et pré-Kerma, Groupe C, Napata et la dynastie koushite fit la part plus que belle à Méroé précisément, à son histoire, son écriture et sa langue, ses dieux, sa céramique, son architecture et même ses rapports avec l'hellénisme.    Bien sûr, je vous accorde qu'il y a déjà de cela 13 ans ; et qu'il est donc intéressant de reprendre ce sujet peu connu des amateurs d'égyptologie égyptologique ; mais de là à péremptoirement affirmer que ce que nous allons "découvrir" maintenant à Paris constitue une grande première m'apparaît comme bizarrement très réducteur.  
(Ici, les amateurs parmi vous pourront consulter le dossier thématique mis au point par le Musée du Louvre.)

     Mais revenons à présent, si vous le voulez bien, à l'Ancien Empire égyptien, et aux  plus importants "champs" de pyramides : Guizeh en tête, je l'ai signalé, Saqqarah aussi, bien sûr qui, à lui seul, et indépendamment de la  première tombe à degrés de Djoser, à la IIIème dynastie, l'ancêtre avéré de toutes les autres, ne compte pas moins d'une quinzaine de constructions funéraires, notamment pour les derniers souverains de la Vème dynastie, Isési et Ounas, ainsi que ceux de la VIème, Téti, Pépi Ier, Mérenrê et Pépi II.    (Dois-je une fois encore insister sur le fait que c'est précisément  au roi Ounas que l'on doit la présence, pour la toute première fois, de textes destinés à permettre d'obtenir l'éternité - communément appelés Textes des Pyramides -, sur les parois des appartements funéraires royaux ? De sorte que toutes les pyramides connues qui ont précédé la sienne étaient absolument anépigraphes.)    Certains d'entre vous, amis lecteurs, me citeront probablement aussi, avec raison, les pyramides de Dachour, de Licht, ou de Meidoum ... ; même si, pour la plupart, ne subsistent plus comme probants vestiges qu'un amoncellement de débris.    Pour ma part, et vous vous y attendez si vous m'avez accompagné la semaine dernière, j'apporterai une autre pierre à cet édifice - qui n'a rien, quant à lui, de pyramidal ! -, en citant le site d'Abousir, entre Guizeh, au nord et Saqqarah, au sud où l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie reçut, en remerciement de la participation de cette République d'Europe centrale au sauvetage des temples de Nubie, au début des années soixante, une vaste et importante concession de fouilles. 
     Mis à part Ouserkaf, le fondateur de la Vème dynastie, cinq de ses huit successeurs sur le trône d'Horus : Sahourê, Néferirkarê-Kakaï, Rêneferef, Shepseskarê, Niouserrê choisirent plutôt le site d'Abousir où ils permirent d'ailleurs aussi à certains de leurs hauts fonctionnaires d'y construire leur propre mastaba.    L'on suppose que la préférence, par ces souverains, de cet endroit situé à une petite trentaine de kilomètres au sud-ouest du Caire actuel, serait consécutive au fait qu'Ouserkaf, leur ancêtre direct qui, bien que faisant ériger son propre tombeau à Saqqarah, monument proche en vérité de celui de Djoser auquel je faisais tout à l'heure brièvement allusion mais, lui, malheureusement en ruines, choisit Abousir pour y édifier son temple solaire. Ce qui eut pour conséquence de déplacer le "centre de gravité" du royaume vers cette partie septentrionale de la capitale d'alors, Memphis, en la transformant en nécropole de certains dynastes de la fin de l'Ancien Empire.    Certes, l'endroit n'attendit pas les égyptologues tchèques pour être pillé, fouillé et étudié : ainsi, des clandestins à l'extrême fin du XIXème siècle déjà, puis Ludwig Borchardt à la tête de la Deutsche Orient-Gesellschaft, en 1907, mirent au jour, dans le temple funéraire du pharaon Neferirkarê-Kakaï, un important corpus de papyri dont certains fragments ont entre autres abouti au Musée du Louvre, et qu'étudia et publia en 1976 Madame Paule Posener-Kriéger ; publication que, jeune égyptologue, elle dédia notamment à la mémoire de Jaroslav Cerny


   Comme j'avais déjà eu l'opportunité de l'expliquer en septembre dernier, cette collection de rouleaux d'archives concernait la vie quotidienne du temple, d'où son immense importance : des tableaux de service définissant les tâches à accomplir par les différents membres de son personnel côtoyaient des inventaires de biens ; des comptes afférents aux offrandes alimentaires destinées à nourrir la statue du dieu s'accompagnaient de l'énoncé de ceux qui les avaient acheminées ; des listes de pièces livrées étaient assorties de notices décrivant leur état, etc.

   Toute cette comptabilité qui fut ainsi tenue deux cents ans durant par une pléiade de scribes méticuleux représentait incontestablement à l'époque de son étude par Paule Posener le lot de documents archivés le plus imposant, le plus détaillé jamais retrouvé pour l'Ancien Empire.

   Mais un égyptologue tchécoslovaque vint qui, dès 1980, eut l'heur de mettre au jour les vestiges d'un autre temple funéraire, en briques crues, donc considérablement ruiné : celui de  Rêneferef, le fils aîné de Néferirkarê-Kakaï,


des magasins duquel il exhuma, en 1982, des empreintes de sceaux en terre crue, des fragments de plaquettes de faïence, ainsi qu'un ensemble bien plus riche encore de papyri dans la mesure où ils nous permettent à présent, non seulement d'affiner nos connaissances à propos de la gestion des domaines royaux à la Vème dynastie, mais surtout, grâce aux autres découvertes faites jusqu'en 1986, de mieux appréhender le règne de ce pharaon en définitive peu connu.

   Miroslav Verner - car c'est bien de lui qu'il s'agit : j'avais en effet mentionné, samedi dernier, son arrivée, après les décès rapprochés de Zbynek Zaba et de son successeur, à la direction de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie -,


fouillait régulièrement, depuis 1976, à Abousir, tant au nord qu'au sud du site.

   Avant lui, dès le début des années soixante, les missions tchécoslovaques qui s'y étaient succédé avaient déjà contribué à l'exploration du plus imposant complexe funéraire privé de l'Ancien Empire (56 x 42 mètres), le mastaba de Ptahchepsès, l'époux d'une fille du roi Niouserrê,


ainsi qu'à son anastylose.



     Cumulant tout à la fois les fonctions de vizir, de grand prêtre de Memphis et d'Inspecteur général des travaux du roi, il appert que les agrandissements successifs que Ptachepsès imprima dans son tombeau sont le reflet de son prestigieux parcours social : en effet, les différentes saisons de fouilles des archéologues tchécoslovaques révélèrent qu'au point de départ, le mastaba qu'il s'était prévu ne devait se composer que des traditionnelles salles inhérentes à son inhumation et à son culte funéraire.

     Or, après la construction initiale, le haut fonctionnaire palatial - et gendre du souverain -, commanda deux agrandissements qui, étude faite, n'avaient d'autre fonction que celle d'asseoir sa notoriété en empruntant des caractéristiques architecturales aux monuments royaux, pas moins !, qu'apparemment il connaissait à la perfection.

   Des magasins ; un autel destiné à recevoir les offrandes au centre d'une immense cour  entourée de 20 piliers ; une chapelle à trois niches hautes pour abriter ses statues, grandeur nature, auxquelles un petit nombre de marches permettaient d'accéder et servant manifestement d'important lieu de culte ; deux salles d'offrandes, dont une réservée à son épouse furent entre autres ainsi ajoutés au mastaba préalable. 

   L'ensemble était précédé d'un portique (voir cliché ci-dessus) que soutenaient deux colonnes en calcaire symbolisant un bouquet de plusieurs tiges de lotus : les souverains antérieurs, quant à eux, s'ils choisirent également ce type de colonnes, plébiscitèrent plutôt le bois pour les faire réaliser.  Et après lui, plus personne n'utilisa des colonnes lotiformes en pierre pour ce type de soutènement.

   En outre, dans une des salles nouvelles, il fit également aménager un escalier permettant d'accéder au toit, comme dans certains temples précédant les pyramides royales .

   Miroslav Verner jaugeant les fragments mis au jour estime que les différentes salles de ce tombeau, décorées de bas-reliefs peints dont certains furent retrouvés in situ, servirent à abriter une quarantaine de statues du défunt de tailles et de matériaux différents.

   Mais quelle ne fut pas la surprise des membres de la mission tchécoslovaque quand ils prirent conscience que la couverture du caveau funéraire de Ptahchepsès se révélait parfaitement semblable à celle des pyramides des souverains de la Vème dynastie ! Quatre paires d'énormes monolithes de calcaire étaient en effet empilés en chevron.

   Il est en définitive difficile quand, sur un chantier de fouilles, s'enchaînent comme ici, pendant des années, tant d'importantes découvertes, de déterminer celle qui restera la plus prépondérante aux yeux de l'Histoire. Et les archéologues de l'Institut tchécoslovaque, à la  tête duquel  officia Miroslav Verner dix-sept années durant, sont là pour avérer mon propos, eux qui permirent à l'égyptologie d'effectuer de grands pas dans ses différents axes d'études : qu'ils ressortissent au domaine de l'architecture funéraire, à celui, plus théorique, de la chronologie des souverains de la Vème dynastie, entre autres, qui avaient choisi Abousir pour nécropole,  ou à celui de certains rites de proscription ...


   C'est donc pour mieux connaître la suite des travaux de l'équipe tchèque, ainsi que leurs résultats, que je vous invite à m'accompagner, amis lecteurs, en Abousir le samedi 24 avril prochain, après le congé de Printemps.



(Grimal : 1988, 92-5 ; Janosi : 1999, 60-3Malek/Baines : 1981, 140-1 et 152-3 ; Onderka & alii : 2008, passim ; Posener-Kriéger : 1976, passim ; Verner : 1978, 155-9 ; 1985 (1), 267-80 ; 1985 (2), 281-4 et 1985 (3), 145-52)