Salon du livre 2010 : Du passé, faisons table d'écriture

Par Actualitté
On pouvait écouter hier au Salon du livre une conférence réunissant trois écrivains d’aujourd’hui autour de la thématique : « Du passé faisons table d’écriture ». Animé par Gérard Meudal (Le Monde), ce débat donnait la parole à Stéphane Audeguy qui a publié Fils unique chez Gallimard en 2006.
Au travers de cet ouvrage, l’auteur réinvente l’histoire du frère de Jean-Jacques Rousseau, l’imaginant écrivain au point d’en faire le narrateur de son livre. Une expérience en tout point intéressante et saluée par la critique à la parution de l’ouvrage. Un travail pointu également sur la langue du XVIII° siècle.
Aux côtés de Stéphane Audeguy, l’on retrouvait Pierre Sanges auteur du remarqué Fragments de Lichtemberg paru en 2008 chez Verticales. Pour l’ancien musicien, il s’agissait d’écrire un livre à partir des aphorismes de Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799).
Enfin, l’on pouvait entendre Jacques Roubaud, membre de l’Oulipo qui aime à écrire dans le cadre de formes prétendument fixes comme le sonnet ou le rondeau. Voilà de quoi alimenter le débat sur les rapports que ces écrivains d’aujourd’hui entretiennent avec leurs confrères du passé.
Pourquoi ne pas commencer en citant La Bruyère qui précisément débutait ses Caractères en avouant que tout avait déjà été dit. Pourtant, ce sont près de quatre cents pages qui viennent à la suite de cette première affirmation...
Ce qui fait dire à Stéphane Audeguy qu’on est très loin d’une crise de la littérature : la publication d’une seule œuvre de qualité donne lieu forcément à une explosion de la réflexion autour d’elle. Et quand on a pris le parti de démultiplier les possibilités d’édition, la réflexion devient infinie, comme la littérature.
Sans se réclamer de l’imitation, ces trois écrivains se placent davantage dans la lignée de la translation. Chaque nouvelle œuvre qui s’écrit laisse, au sein d’elle-même, transparaître la lecture de dizaines d’autres mais à chaque fois lues, redécouvertes à la lumière d’une subjectivité. L’écriture intervient alors comme prolongement de la lecture. Stéphane Audeguy révèle ici sa forte filiation à Raymond Queneau, ce qui a de quoi surprendre car le sentir dans ses livres n'est pas chose aisée. En revanche, quand Jacques Roubaud se réclame aussi de l'auteur de Zazie dans le métro, on est loin de la surprise...
Et la réelle difficulté n’est pas précisément d’affronter la page blanche mais surtout de rendre cette page blanche, d’arriver à sortir de l’imitation des maîtres pour enfin trouver sa propre patte, son style. Ce même style, il faudra aussi arriver à lui faire subir des métamorphoses dans les prochains livres que l’on écrira sans quoi on tombe dans la seule répétition.

Sans vouloir casser la forme du roman actuelle, ces trois auteurs cherchent à créer une écriture singulière. Et c’est au sein des bibliothèques publiques qu’ils aiment à travailler. Stéphane Audeguy se plait à voir en ces lieux un espace d’échange entre l’intérieur et l’extérieur. Une bibliothèque sans fenêtres serait, à ses yeux, impensable. Elle doit s’établir à la manière d’un cloître.
Quant à Jacques Roubaud, c’est le côté mystérieux des magasins des grandes bibliothèques qui l’attire irrésistiblement avec l’inquiétude d’y découvrir, au détour d’un rayon, le corps d’un chercheur qui s’y serait perdu…
Le poète se plait alors à exposer sa thèse du « bon voisin ». Lorsqu’on vient chercher un titre précis, repartons avec celui qui se trouve juste à côté : c’est l’assurance de faire toujours des découvertes, d’ouvrir des portes auxquelles on aurait jamais pensé frapper. Se nourrir de livres qui n’ont rien à voir avec nos habitudes de lecteur, c’est se créer de nouveaux espaces de réflexion. A méditer.