Au pays des "mimi" et du python arc-en-ciel. l'art des aborigenes de la terre d'arhnem

Publié le 29 mars 2010 par Regardeloigne

   

« L'art aborigène est partie intégrante du Temps du Rêve : il raconte l'épopée des ancêtres et régénère leur immortalité. Il est intrinsèquement lié à un territoire donné et à toutes les créations des ancêtres qu'il contribue à faire exister dans le présent. Toute production d'art aborigène, et donc toute exposition, ne peut être réalisée par n'importe quel individu. En effet, des droits, remontant au Temps du Rêve, déterminent qui est à même de peindre ou sculpter. Le fait d'observer ces droits, dits de « copyright », constitue l'une des particularités de cet art dont les œuvres dépendent de leur lieu de création et de l'identité de celui qui les a produites. Sans cette référence au Temps du Rêve, l'art aborigène perdrait toute signification.

Les ancêtres ont légué leurs terres aux peuples qu'ils ont laissés derrière eux, à condition qu'ils continuent à célébrer les cérémonies et à produire les peintures qui témoignent de leur puissance créatrice. Les premiers humains à occuper la terre passent pour les ancêtres des hommes qui y vivent aujourd'hui. La pratique de la peinture et la connaissance de son contenu symbolique attestent du lien à un territoire donné. En effet, la pratique de l'art régénère le lien entre terre et esprits. Pour cette raison, la connaissance des peintures et le droit d'en produire sont extrêmement réglementés; les peintures ne peuvent être produites que par les personnes y ayant été habilitées. Même si, dans toute l'Australie, l'art est étroitement associé au paysage et aux voyages des êtres du Temps du Rêve, on observe de grandes variations dans la façon dont l'art est associé à l'identité du groupe et aux relations entre sexes. En Terre d'Arnhem orientale, et dans les régions du centre de l'Australie où la population est la plus dense, les terres, les peintures et autres manifestations du Temps du Rêve sont la propriété de certains clans (groupes d'individus liés par une ascendance commune), tandis que dans d'autres régions, les droits pour produire des peintures et les droits attenant au territoire sont plus aléatoires. »howard morphy.l’art aborigene.phédon

   

Les aborigènes de la Terre d'Arnhem se divisent en plusieurs groupes linguistiques mais qui possèdent des formes d'organisation sociale similaires et partagent de nombreuses croyances religieuses et de nombreuses cérémonies. Leur art reflète la complexité des structures sociales autour desquelles s'organise la vie religieuse et profane, et qui codifient les rapports avec les ancêtres mythi­ques, les cérémonies et les rêves. Beaucoup de récits mythiques ont une origine bien localisée et circulent ensuite à travers la région où ils acquièrent une significa­tion plus large en reliant entre eux les clans qui y sont associés. C'est le cas, en particulier, des rêves relatifs aux Pythons Arc-en-ciel ,auxSœurs Wawilack, aux Djang'kawu

   

L'art traditionnel des Yolngu de la Terre d'Arnhem semble a priori très différent de celui des groupes du désert. Toutefois, l'intention cosmologique et symbolique des deux communautés est très similaire. Les peintures sur écorce de ce littoral de forêts d'eucalyptus, de pandanus et de mangroves s'inspirent à la fois des maillages claniques exécutés sur le torse des jeunes initiés et de l'art plus figuratif dit « à rayons X » des peintures rupestres de cette région. Les créatures marines - poissons, dauphins, dugongs, tortues, crocodiles - y côtoient les oiseaux, animaux de la terre, kangourous, dingos, lézards, serpents, ainsi que des esprits et des personnages anthropomorphes, dont certains sont liés aux visites de pêcheurs asiatiques de Macassar….

Le ciel, la mer et la terre sont pour tous les Aborigènes un livre rempli de signes qui au cours des âges se sont enrichis d'événements géologiques, climatiques, et d'expériences historiques.

Les premiers navigateurs et arpenteurs de la terre sont identifiés aux forces de la nature : Serpent Arc-en-ciel séparant telle île du continent, Hommes Éclair formant des lits de rivière, Émeu Géant ouvrant des vallées, marée de Prunes noires trouant des roches. Ces mythes fondateurs garantissent l'authenticité culturelle des récits du fait qu'ils s'inscrivent dans des lieux précis du paysage reliés entre eux par des lignes de chants. La tradition n'est pas figée pour autant : elle se nourrit au contraire de l'interprétation que les générations successives donnent de leurs expériences et de celles de leurs ancêtres, notamment en les transposant dans des danses, des peintures et des rites. barbara glowczewski.pistes de reves ed.du chene.

  

D'une superficie d'environ 150 000 km2, la Terre d'Arnhem offre une grande diversité de cadres naturels qui vont des grands plateaux calcaires de l'ouest, creusés de gorges innombrables aux parois décorées de magnifiques peintures rupestres, aux régions plus basses où se juxtaposent un vaste réseau fluvial, des lagunes d'eau douce, des jungles de pays de mousson, des forêts clairsemées, des déserts arides et pierreux, des étendues maré­cageuses, des zones côtières, des îles.

 

 Les immenses plateaux calcaires qui dominent les plaines basses de la Terre d'Arn­hem occidentale abritent d'extraordinaires galeries d'art pariétal. Les données archéo­logiques suggèrent que l'activité picturale y remonte à 50 000 ans environ. Les plus anciennes peintures encore existantes seraient vieilles de 18 000 ans au moins et auraient été peintes pendant la période glaciaire, quand le niveau de la mer était beaucoup plus bas qu'aujourd'hui. L'étude des changements qui se sont produits dans l'environnement depuis cette époque et celle de l'évolution des styles et des motifs qui se manifeste dans les séquences d'images superposées ont permis aux archéologues d'identifier les grandes étapes de cet art. Les images les plus anciennesrévèlent des empreintes de mains et des projections de plantes et de cordelettes contre la paroi.

L'élévation du niveau de la mer, il y a près de 10 000 ans, en rapprochant la zonelittorale du pied des escarpements, fit entrer la faune marine dans la peinture pariétale. l'art rupestre fut particulièrement florissant avec l'apparition des fameuses « figures dynamiques », représentations d'êtres humains qui caractérisent l'art pendant quatre millénaires. Elles sont parfois pourvues de coiffes compliquées, d'armes et d'autres objets de la culture matérielle tels les éventails en plumes d'oie. Les êtres humains sont parfois figurés en train de chasser ou d'effectuer des rituels. On distingue également des scènes de bataille. Le style des « figures dynamiques » apparut à l'époque où le niveau de la mer ayant monté, la région des Alligator Rivers était devenue un estuaire saumâtre au pied de l'escarpement. Les espèces animales, qui vivaient dans la mer ou l'eau saumâtre, devinrent des motifs récurrents.


 

C'est au cours d’une période plus tardive période tardive - entre 3000 et 6 000 ans - qu'apparaît pour la première fois le Serpent arc-en-ciel : être fantastique de forme allongée qui combine les traits caractéristiques de plusieurs animaux disposés le long d'un corps de python géant Aujourd'hui, le Serpent arc-en-ciel est associé aux cérémonies régionales qui rassemblent des individus venus de très loin pour célébrer la fécondité et la structure communautaire. On peut voir à travers l'art l'essor de ces rituels et de la notion clanique. Sans doute ces deux phénomènes ont-ils favorisé l'émergence d'une société étroitement liée à son territoire qui existait encore à l'époque de la colonisation européenne.

Cette période plus récente se caractérise par le développement et l'apogée d'un nouveau style, celui dit aux « rayons X ». L'expression « rayons X » fait référence aux organes internes et à la structure des animaux qui sont représentés de manière réalistes

Les peintres du Pays Rocheux pratiquent ainsi une sorte de peinture anatomique qui a acquis une certaine renommée sous le titre de « Peinture aux rayons X ».

Si on remarque que l'artiste peint de cette façon surtout les animaux dont il fait sa nourriture préférée, nous pou­vons déjà mieux comprendre son raisonnement. Il ne les voit pas seulement avec ses yeux, mais il les « voit » aussi avec son estomac. Le fait qu'il n'insiste pas sur ces caractéristiques lorsqu'il peint des animaux totémiques pour lesquels son intérêt est tout différent, justifierait cette assertion. N'étant plus attiré par leur chair, il insiste sur leur aspect extérieur. Il suit son raisonnement quand il s'agit de la forme humaine, en rendant apparentes quelques parties du squelette qu'il sait et sent dans son propre corps et en négligeant les organes interne »karel kupka. un art a l’état brut. lausanne


 


Les styles picturaux réapparaissent de façon récurrente, quoique avec certaines modifications et une altération du sens
. Les peintres sur écorce contemporains ont tendance à reprendre des styles de l'art rupestre issus de diverses périodes. Un même artiste peut dessiner un kangourou aux « rayons X », un personnage de sorcier et une scène de bataille comportant des Mimi. De la même manière, les artistes œuvrant sur les surfaces rocheuses ont certainement, eux aussi, puisé leur inspiration dans les styles antérieurs.

Les peintu­res sur paroi les plus récentes contiennent des scènes et des images qui témoignent de contacts avec les Macassars et, plus tard, avec les Européens.

Des voiliers asiatiques ont annuellement visité pendant des siècles les côtes nord du continent pour venir pêcher des bêches-de-mer. C'est à ces visites - bien antérieures à la colonisation européenne il y a deux siècles — que les Yolngu attribuent certains éléments qu'ils ont intégrés dans leur culture. Un type de canots, des sculptures de sable en forme de vaisseau réalisées pour certaines cérémonies funéraires, le tissage de feuilles de pandanus pour des sacs à ignames et des nattes, des chants, des danses, des sculptures en bois et des peintures sur écorce évoquent ces visiteurs asiatiques dont les manifestations spirituelles s'entremêlent avec le panthéon mythologique de nombreux esprits tutélaires et totémiques. En 1907, les colons européens ont interdit ce commerce asiatique basé sur la pêche saisonnière des concombres de mer ou trepang. Les Yolngu ont alors dessiné avec des arrangements de pierres les signes de cette histoire : ancre, voilier, pots à cuire les trepang. Le site surplombe la mer en face du cap Arnhem, haut lieu des esprits ancestraux. Vu du ciel, l'ensemble des dessins de pierres géants dispersés entre les buissons ressemble à une peinture en relief structurée de formes abstraites. Toutes sont encodées de sens : cercle pour les camps, triangle pour l'ancre, carré pour la marmite servant à fumer les trepang. D'après un ranger yolngu, les anciens ont ainsi mémorisé un événement historique avec l'espoir que cette alliance - qui avait malgré certaines violences respecté les droits territoriaux et maritimes des Aborigènes - pourrait être réactivée un jour. Depuis, des Yolngu ont repris quelques échanges avec Célèbes. . barbara glowczewski.op.cite.

  


Les premiers contacts réguliers avec des Européens remontèrent aux tentatives des Britanniques de créer une colonie sur l'Ile Melville en 1824 et sur le continent, non loin de là, au cours des années suivantes. Mais la première colonie permanente, celle de Palmerston (le futur Darwin), ne fut fondée que dans la deuxième moitié du XIXe siècle ; plusieurs suivirent ainsi que des missions. Malgré les politiques d'assimilation promues par certains missionnaires (mais certaines missions telles Yirrkala sur la péninsule de Gove devinrent de véritables centres artistiques) et fonctionnaires de l'Etat, les Aborigènes résistèrent et conservèrent leurs pratiques religieu­ses et sociales. Après le référendum de 1967, ils obtinrent la citoyenneté australienne. Sous l'influence d'un gouvernement travailliste, une politique d'autodétermination fut mise en place dès les années soixante-dix. Celle-ci a permis à des groupes aborigènes du Territoire du Nord d'entamer des procédures juridi­ques de revendications à certaines terres appelées «
Terre de la Couronne vacante ». Certaines ont abouti et d autres sont toujours en cours. De nombreux groupes aborigènes ont pu ainsi retourner vivre sur la terre de leurs ancêtres. Ils restent néanmoins très pau­vres et démunis. Ce mouvement dit de retour aux terres ancestrales (homelands ou outstations) a suscité un regain d'activités tra­ditionnelles et cérémonielles. Parallèlement, le désir de la part des Aborigènes de s'assurer un certain degré d'indépendance financière a eu pour effet de stimuler la production d'ceuvres destinées à la vente. Les coopératives ou les centres artisti­ques qui ont été créés dans ces centres urbains servent maintenant d'intermédiai­res dans le transfert de la production esthétique locale vers le monde extérieur.

Les explorateurs qui visitèrent les côtes de l'Australie du Nord dans les années 1830 s'émerveillèrent de la richesse des peintures aborigènes sur écorce d'eucalyptus de cette région. Par l'intermédiaire des missionnaires, puis des anthropologues, les premières collections ethnographiques commencèrent à remplir les musées occidentaux. Les écorces peintes allaient fournir aux aborigènes un moyen privilégié pour transmettre à l'extérieur de leur communauté la complexité de leur savoir et de leur mythologie. Ce dialogue interculturel fut associé à la reconnaissance de la culture et des droits aborigènes (loi foncière pour l'ensemble du Territoire du Nord : le Northern Territory Land Rights Act de 1976). Ainsien 1963, les différents clans des Yolngu réalisèrent une écorce envoyée au Parlement australien en guise de pétition pour protester contre l'ouverture d'une mine de bauxite et pour la reconnaissance de leurs droits à la terre.

« Ainsi, sous des pressions internes et externes, la production de peintures sur écorce, sur objets ou sur toile pour la consommation touristique et muséale s'est élargie. Ces peintures sont pourtant plus que des marchandises. Au travers de ces pièces, producteurs, acheteurs, admirateurs, critiques, ethnologues, ou artistes, entament un dia­logue culturel. Un dialogue direct et indirect, un dialogue fragile, un dialogue incertain, certes, mais un dialogue. Ces expressions artistiques ne sont pas créées que pour être admirées. Elles témoi­gnent de relations sociales contemporaines, rendent compte d'un passé traditionnel et artistique riche, sont les marques de résis­tance à l'assimilation, et nous montrent le dynamisme culturel des sociétés aborigènes. Que ce soit aujourd'hui ou hier, dans leurs peintures, les Aborigènes racontent ce qui est important pour eux, ce qui fait leur identité : les liens entre la terre, les vivants, les an­cêtres mythiques, et les autres groupes aborigènes ». Françoise dussart.la peinture des aborigènes d’Australie ed.parentheses

   

la Terre d'Arnhem est en effet renommée pour ses peintures sur écorce, ses sculptures et ses tissages, qui témoignent d'une grande diversité d'approches et de styles à l'intérieur de la région( D'une façon générale, les tableaux sont plus figuratifs à l'ouest et les motifs géométriques tendent à se généraliser à mesure qu'on se déplace vers l'est). Les Aborigènes de la Terre d'Arnhem vont en effet commencer à peindre leurs motifs rituels sur des morceaux d'écorce facilement transpor­tables au début du XXe siècle. Chaque arrangement pictural sur écorce, sur la roche ou sur le corps est la marque des héros et héroïnes mythiques. Les grands drames ancestraux, celui des Sœurs Wawilack (wagilag) ou celui des Djang'kawu, par exemple, sont habituellement traités conformément à des modèles de composition préétablis, comportant des éléments iconographiques spécifiques, disposés selon certaines normes. Mais, des structures suffisamment flexibles permettent ici aussi aux artistes d'introduire des variations, d'innover et de donner libre cours à leur talent individuel.

Certaines « écorces » racontent seulement des versions publiques d'événements mythiques et sont toujours présentées à des jeunes gens lors de leurs cérémonies d'initiation. C’est ce rôle pédagogique qui a ainsi permis la vente des œuvres sans avoir un effet négatif sur les activités religieuses et claniques.

« La peinture sur écorce est incontestablement la plus caracté­ristique des différentes formes d'art pratiquées par les aborigènes. Comme son nom l'indique, c'est une peinture exécutée sur des panneaux d'écorce. L'eucalyptus, l'arbre le plus courant en Aus­tralie, les fournit.

L'écorce de quelques espèces de cet arbre semble destinée à être peinte. Elle est à la fois lisse, souple, mais ferme. Les peintres indigènes cherchent longtemps avant de choisir le morceau qui les satisfera. L'arbre doit être sain, droit, son écorce sans craque­lures. Ce morceau est découpé avec une hachette, détaché lente­ment et précautionneusement du tronc. Puis, et cela de préférence dans le camp, il est aminci, nettoyé, déroulé au-dessus du feu. Ce dernier travail, qu'on effectue à plusieurs reprises, est assez long. L'écorce est alternativement chauffée et courbée en tous sens à l'aide du genou ou du pied, jusqu'à ce qu'elle reste bien droite. Ensuite, on la maintient à plat sous une charge de pierres ou de sable. Au bout d'un ou. de plusieurs jours, selon le temps qu'il fait, elle est assez sèche pour être peinte. La première couche protectrice est habituellement appliquée sur la face intérieure, plus lisse. Elle est enduite d'un suc gluant qui provient de la tige d'une orchidée sauvage et qu'on remplace quelquefois par d'autres fixatifs naturels. Dans plusieurs régions, un pigment rouge ou noir est mélangé au suc pour servir de fonds à la peinture.

Les couleurs utilisées sont le jaune, le rouge et le brun (ocres naturelles), le blanc (terre à pipe) et le noir. Ce dernier est fait plutôt de fusain écrasé que de noir minéral, très rare. Les abori­gènes sont prêts à marcher des centaines de kilomètres pour se procurer une ocre jaune et rouge de la teinte la plus pure. C'est une source de richesse pour la tribu qui en possède sur son terri­toire, parce qu'elle sert de monnaie d'échange fort prisée dans le troc avec les autres tribus. Nos couleurs industrielles, offertes parfois par les Blancs de l'administration indigène n'ont pas eu jusqu'à présent, et l'on s'en félicite, beaucoup de succès. Si un peintre les utilise, ce qui est l'exception, il se limite normalement aux teintes de sa palette habituelle. La fabrication des couleurs traditionnelles ne pose pas de grands problèmes. Le peintre laisse ses terres colorées tremper dans des coquilles ou autres récipients de fortune ou, si elles sont trop dures, il les frotte sur une pierre en ajoutant de l'eau, jusqu'à ce qu'il obtienne la pâte qui convient. ». karel kupka. un art a l’état brut. lausanne

   

L'artiste dispose d'un choix de pinceaux faits de diverses fibres et de bâtonnets dont on a effrangé l'extrémité en la mâchonnant ou auxquels sont attachés des poils ou des plumes. Les larges surfaces de couleur qui forment les arrière-plans sont souvent étalées à la main. Les motifs compliqués composés de fines hachures entrecroisées sont exécutés à l'aide d'un pinceau très fin fait de longs poils attachés à un bâtonnet. Depuis quelques années cependant, les artistes se servent générale­ment de pinceaux qu'ils se procurent dans le commerce et qu'ils modifient pour les adapter à leurs besoins. Dans le passé, on fixait les pigments au moyen de cire, de jaune d'œuf, de résine et de suc d'orchidées sauvages. Depuis les années soixante, ces fixatifs ont été en grande partie remplacés par des colles à bois synthétiques plus faciles à se procurer et d'un emploi plus aisé. Les résultats obtenus sont en général assez semblables. Du fait de leur stabilité, les fixatifs commerciaux sont mieux adaptés à une production artistique destinée à la vente. Tant que ce problème ne s'est pas posé, la perma­nence de la peinture sur écorce ne semble guère avoir préoccupé les artistes. Les tableaux, qui étaient exécutés à des fins particulières, étaient soit détruits, soit mis au rebut, une fois qu'ils avaient rempli leur fonction, qu'elle fût profane ou reli­gieuse. Comme partout ailleurs dans l'Australie aborigène, le processus de pro­duction esthétique était en général plus important que le produit fini.

« L'artiste commence sa peinture sans aucun dessin préliminaire et travaille avec une merveilleuse sûreté qui ne connaît quasiment pas les retouches. Il ne modèle pas en nuançant sa couleur et l'applique uniformément pour déterminer les formes choisies qui sont ensuite cernées et divisées par une ligne précise, blanche de préférence. Le treillis, la hachure linéaire et les points sont abon­damment utilisés. Le peintre manie avec une habileté extraordi­naire des pinceaux primitifs, mais, dans sa main, très efficaces. Ils sont faits de brindilles de bois mâchées à une extrémité, ou de tiges auxquelles sont attachés des cheveux, des fils végétaux, des lambeaux de plumes. Souvent une simple feuille, convenable­ment coupée, lui suffit. La première couche exceptée, les couleurs ne sont généralement mélangées qu'avec de l'eau, ce qui rend la peinture, hélas! Trop fragile. Le problème de sa préservation

cause maints tracas aux conservateurs de musées. Elle se détériore rapidement si elle n'est pas l'objet de soins méticuleux L'humidité lui est particulièrement néfaste et beaucoup de belle œuvres ont été irréparablement endommagées par la moisissure On comprendra qu'une pareille fragilité rende absurde la question qu'aiment à poser quelques « connaisseurs » de cet art « Quel est l'âge de cette pièce ? » En effet, le hasard seul perme de trouver chez les aborigènes une peinture « vieille » de plu sieurs mois au maximum. Ils ne gardent pas leurs peintures sur écorce et, même s'ils le pouvaient, ne se soucieraient pas de le conserver. Ce n'est que le fait de peindre, l'acte même de 1a création qui compte pour eux. » karel kupka. op.cite.

Les peintures sont exécutées à plat, l'écorce étant posée sur le sol ou sur les genoux de l'artiste qui la fait pivoter à mesure que la composition avance, de sorte que le produit fini n'a souvent aucun angle de vue prédéterminé. Par contre, parce que ces tableaux traduisent des rapports entre les divers aspects de la réalité physique, sociale et spirituelle, la disposition de leurs éléments en fonction des point cardinaux peut avoir une signification importante. La position des images dominantes peut aussi indiquer une orientation préférée.

 
 


  
Les deux types de Les systèmes de communication visuelle qu'on rencontre en Terre d'Arnhem comprennent à la fois des images figuratives ou stylisées et des motifs géométriques abstraits, ces deux types de représentation étant utilisés de façon exclusive ou, le plus souvent, en combinaison. L'usage des hachures entrecroisées est caractéristique des peintures de la Terre d'Arnhem. Elles forment des motifs dont les modèles préétablis servent à identifier les clans. Appelées rarrk en Terre d'Arnhem occidentale, ces hachures sont connues plus à l'est sous les noms de dhulang. Ces dessins claniques ont été transmis par les grands aïeux et sont utilisés dans diverses circonstances, de la peinture « publique » sur écorce au maquillage rituel. Ils confèrent à l'œuvre cet éclat particulier qui révèle la présence immanente de l'énergie ancestrale ou spirituelle qui y réside. De nos jours, les artistes amplifient souvent ces motifs par emploi de l’acrylique pour tenter de rendre leurs tableaux plus vibrants.

Les motifs peints sur le corps et sur les écorces d'eucalyptus dérivent des êtres créateurs (Wangarr) : ils sont les « ombres » des motifs portés par les Wangarr. Les diamants typiques des Yirritja se déclinent sous plusieurs formes. Chaque clan possède une mosaïque de losanges unique, des petits aux plus allongés, aux origines mythiques diverses. Ces polygones représentent par exemple les cellules de la ruche d'abeilles pour les Gupapuyngu et les écailles du crocodile brûlé par le feu pour les Gumatj.

Les maillages des Dhuwa se composent de lignes parallèles qui ondulent et qui se croisent, faisant apparaître des formes géométriques. Ces lignes peuvent signifier des trajectoires ou le mouvement des flux marins et des courants. Comme pour les diamants Yirritja, chaque tracé est associé à un lieu et à la signature d'un clan. Les motifs les plus sacrés sont appelés likan, le coude ou l'articulation. Les combinaisons de lignes et de couleurs particulières expriment la spécificité de chaque clan, ornant les objets les plus sacrés du clan (rangga), eux-mêmes des transformations des êtres Wangarr, sont réputés scintiller ou briller, le même terme s'appliquant aux rayons du soleil. Les lignes et les hachures se superposent, créant une illusion de mouvement. L'effet de radiance est la qualité esthétique la plus recherchée, car elle témoigne du talent de l'artiste et de sa capacité à transformer un morceau de bois en un objet incarnant le pouvoir des ancêtres. Cette iridescence est la manifestation du marr, le pouvoir spirituel des Wangarr contenu dans les objets sacrés. . barbara glowczewski.op.cite.