Etat chronique de poésie 857

Publié le 30 mars 2010 par Xavierlaine081

857

C’est si belle chaleur que celle qui se décline en mot fraternité.

On entre, chacun parle, dit ce qu’il est, traversant ce monde qui voudrait mettre en évidence ce qui nous distingue quand nous avons tant de points communs.

C’est alors la beauté qui s’invite, dès lors que nous savons exprimer ce qui nous tient à cœur, ce qui nous heurte parfois dans la froideur d’une porte ouverte, sans invitation à pénétrer plus avant…

Peu à peu, la langue se sent portée à dire, pour la première fois les mots si longtemps tus…

Car depuis si longtemps demeure cette blessure de ne pouvoir percevoir la société des hommes qu’au prisme d’une vie qui se joue des frontières…

Alors, la voix s’élève qui dit l’homme de 1848, apatride, baluchon sur l’épaule qui vint à Paris demander à être français, en hommage à Voltaire et Rousseau…

Lui ne se posait même pas la question de son identité. Il savait laquelle adopter qu’il pourrait arborer fièrement, même si, de son vivant il ne reverrait plus le sol de sa patrie d’adoption.

Epousant une grecque d’orient, son fils prit femme italienne.

Je la revois, dans ses derniers instants, son sac à main sur les genoux, psalmodiant à qui voulait l’entendre qu’elle était « le juif errant ». Pour mieux se faire comprendre, elle déclinait la sentence en français, en italien, en grec, en turc…

Elle ne savait plus que la consigne était de ne parler que français, dès lors qu’on avait rejoint le territoire mythique…

Car, chaque génération a payé son tribut d’exil, chassé par les guerres, les génocides et les conflits…

Chaque génération dut tout reprendre, reconstruire sa vie, avec deux valises pour tout bien, et des souvenirs qui viendraient peupler mon imaginaire d’enfant…

*

Je l’ai déjà écrit : mon enfance fut baignée dans la lumière du désert tout proche.

Mes pas ont arpenté des terres que grecs, romains et carthaginois se disputaient.

Mes copains de classe, bruns comme moi étaient italiens, espagnols, français ou tunisiens. Nous étions catholiques, musulmans ou juifs.

Mais pour les grandes dates, nous nous retrouvions, gorge déployées sur un « Ave Maria » somptueux et discordant, devant la fausse grotte de Lourdes, avec sa vierge diaphane, au coin de la cour de l’école des sœurs…

Nous avions les mêmes billes de terre, les mêmes osselets récupérés des nombreux gigots avalés le dimanche, après la messe…

*

La messe : on entrait dans un vaste paquebot de béton, à l’entrée de la ville. S’y retrouvaient tout ce qu’elle pouvait compter d’étrangers venus là panser les plaies de la décolonisation (ou en détourner les effets, c’est selon).

Les grandes orgues ronflaient dans un grand tohubohu d’hirondelles et de colombes qui volaient, affolées, au ras du plafond, entre les vitres brisées que nul ne songeait à remplacer…

Sans doute était-ce signe divin que ces cris qui couvraient la cérémonie…

*

Chaque année, l’Aïd était l’occasion d’un grand nettoyage, y compris chez nous.

C’était un jeu que de sortir tout sur la terrasse, pendant qu’en dedans, à grand coups de rouleaux, la chaux venait assainir les scories du temps passé, effaçant du même coup les miasmes laissés par nos maladies infantiles.

Nous avions la bonne idée de les faire relativement groupées : varicelle, rougeole et autres coqueluches nous laissaient des traces indélébiles d’infinies tendresses. Nous ne connaissions rien d’autre que ce doux moment d’être au côté d’une mère pour une déclinaison d’histoires, toujours les mêmes : le vilain petit canard, le petit poucet, blanche-neige…

Ce qui comptait était moins l’histoire que le moment…

*

Que dire de la suite, sinon le souvenir lugubre de villes noires ou grises, de rues sales sous des pluies battantes et cette déchirure inexplicable…

Quel que fut le bonheur de vivre, il restait une blessure qui n’a jamais été soignée…

La brutalité du retour, dans une tête d’enfant laisse des traces indélébiles…

Depuis, j’ai rejoins la cohorte de mes ancêtres, éternels apatrides, en exil dans leur cœur, plus que dans leur rôle social…

Mon symbole a deux valises, lourdes, et marche sans savoir ou il va…

Il est comme, moi, curieux d’un monde qui n’aurait plus la nécessité de mettre des barbelés aux frontières.

Seules comptent les différences culturelles, linguistiques, comme autant d’encouragement à être dans cette tentative, si souvent vaine, hélas, toujours plus humains, riches de nos diversités.

*

Ces mots que je déverse à grands flots, comme pour laver le pont de mon navire, se nourrissent d’une histoire merveilleuse qui nous a mené, en quelques générations, à traverser l’Europe qui n’existait pas encore.

Celle là avait le parfum de ces hommes et de ces femmes capables de tout inventer pour survivre.

Ils bâtissaient sans le savoir un monde que les architectes de l’Europe politique d’aujourd’hui ont si souvent tendance à corseter derrière une multitude de lois et de contraintes.

Elle existait déjà, bien avant d’être sur un papier. En ces temps là, ceux qui aujourd’hui lui imposent le corset, organisaient des guerres…

*

J’ai dans mon sang le bassin méditerranéen, de la Baltique au Bosphore, de Cracovie, Thessalonique, à Smyrne.

J’ai dans la tête les fabuleuses noces berbères, l’accueil précieux de ma patrie grecque, aussi chère que l’officielle, même si je n’y ai que trop peu séjourné.

Je suis le melting-pot de cultures qui s’entrecroisent entre les lignes, s’accrochent à l’hameçon des mots, se délivrent du poids de cette chose impossible à faire comprendre…

« Mon pays, c’est le monde » : je m’entends prononcer cette phrase sous un tonnerre d’applaudissements…

Je ne me croyais pas en mesure de dire cet indicible qui nous rend différent, étranger partout, ou citoyen, partout.

Il a suffit d’un peu de lumière, de simplicité pour ouvrir la porte au flot des souvenirs, à l’ouverture des lèvres qui n’avaient enfin plus peur de parler…

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Nous avons à creuser

Au puits commun

L’art d’être ensemble

Riches de nos différences

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Manosque, 28 février 2010

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