Les petits calculs d’Eric Zemmour (Caroline Fourest)

Publié le 02 avril 2010 par Chezfab

Excellent article de Caroline Fourest qui résume parfaitement ce que je pense du personnage. Vous trouverez plus de choses encore sur son site : http://carolinefourest.wordpress.com/

Les petits calculs d’Eric Zemmour

By Caroline Fourest

Eric Zemmour vient d’expérimenter une loi cardinale en matière de dérapages : l’accumulation. Comme pour Georges Frêche, le tollé soulevé par ses propos n’est pas dû à la pire de ses déclarations, mais à celle de trop : « Les Français issus de l’immigration (sont) plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… C’est un fait. »

Par certains aspects, cette pharse rappelle la polémique soulevée par Renaud Camus. A l’époque, le goût douteux pour la comptabilité ethnique consistait à compter les journalistes juifs sur une station de radio. Quant à Georges Frêche, son truc serait plutôt de compter les footballeurs noirs.

Dans les trois cas, plus l’émotion est grande, plus nos valeureux statisticiens sont sûrs d’engranger des soutiens parmi les amateurs d’évidences chiffrées et de francs-parlers. Ben quoi, c’est pas vrai ? Il y a beaucoup de Noirs dans l’équipe de France, beaucoup de juifs dans les médias et beaucoup d’Arabes et de Noirs dans les prisons ! Alors quoi, on peut plus rien dire ?

On peut. Mais tous les racismes commencent ainsi. Le problème réside moins dans la mentalité racialiste et comptable de ces raccourcis que dans leurs « non-dits » : les fantasmes qu’ils suggèrent.

Oui, il y a de nombreux joueurs noirs en équipe de France. Mais pourquoi le relever ? Si ce n’est pour sous-entendre qu’un joueur noir ne représente pas aussi bien la France qu’un joueur blanc. Oui, de nombreux journalistes de talent sont juifs. Mais pourquoi le relever ? Si ce n’est pour sous-entendre que le fait d’être juif – et non le fait de venir de familles diasporiques misant sur la culture – favorise la vocation médiatique ?

Enfin, oui, Eric Zemmour, la plupart des petits trafiquants sont noirs et arabes. Non pas parce que le fait d’être noir ou arabe mène naturellement ou culturellement au trafic. Mais parce qu’on a beaucoup plus de chance de devenir dealer de shit que journaliste quand on naît dans des familles pauvres ne misant pas sur la culture. Surtout si l’on subit en prime des contrôles au faciès, le plafond de verre, et qu’on ne bénéficie pas d’un bon avocat capable de vous tirer d’affaire. D’où la spirale qui conduit plus souvent les uns que les autres en prison. Un peu comme l’accumulation de dérapages verbaux conduit certains journalistes à l’avertissement du CSA.

En matière de raccourcis, le casier médiatique d’Eric Zemmour est loin d’être vierge. Voilà des années qu’il dépeint un Occident assiégé. Ses propos partent parfois de constats justes : la crise du multiculturalisme et la montée des tensions communautaires. Sauf qu’il n’en tire pas de conclusions constructives – comme la défense de l’égalité, de la laïcité ou de l’universalisme -, mais une mélancolie rance favorisant le repli et le rejet.

A en croire l’auteur du Premier Sexe (Denoël), la virilité de l’Occident serait menacée par deux fléaux : la féminisation voulue par les féministes – « l’abdication des hommes blancs » – et la concurrence de la virilité arabo-islamique. Sa solution passe visiblement par le retour de la domination masculine et de la natalité française (il s’émeut que le droit à l’avortement ait empêché sept millions de Français de naître !). Il prône l’assimilation, mais croit en l’existence des « races ».

A propos du désir masculin, il lui arrive même des tirades dignes du Club de l’Horloge : « L’être humain est très primaire. Nous avons un cerveau archaïque, nous avons un cerveau reptilien. Il faut en tenir compte. A vouloir le nier, nous créons des générations d’impuissants, d’homosexuels et de divorcés. » Les meilleurs moments du cerveau archaïque d’Eric Zemmour étant à découvrir sur Radio-Courtoisie, une radio d’extrême droite, où il intervient volontiers pour deviser sur l’effémination et « l’abâtardissement de la civilisation française ».

En un mot, il ne s’agit pas « d’hitlériser » Eric Zemmour, mais de démentir un cliché de plus. On peut être journaliste, cultivé, et flatter l’instinct primaire.

Caroline Fourest