Thaïlande : poursuite de l’insurrection islamiste dans le sud du pays

Publié le 05 avril 2010 par Roman Bernard
1. Dernières évolutions du conflit

1.1. Le jeudi 7 janvier 2010, dans la province thaïlandaise de Yala, deux bombes posées par des terroristes islamistes ont explosé sur une route, tuant deux personnes. L’explosion de l’une de ces bombes a été déclenchée par téléphone portable et s’est produite à 300 mètres de l’endroit où le premier ministre thaïlandais, Abhisit Vejjajiva, devait inaugurer, trois heures plus tard, une route interprovinciale. Ce premier attentat a coûté la vie à un soldat et a blessé trois policiers. Une heure plus tard, l’explosion d’une seconde bombe, également déclenchée par téléphone portable, a tué un second soldat.

1.2. Le mercredi 13 janvier, des employés de la compagnie publique d’électricité ont été pris dans une embuscade dans la province de Pattani. L’un d’eux a été tué et quatre autres ont été blessés. Dans la même province, une bombe a explosé devant un magasin de thé, blessant quatre civils. Un autre engin explosif a également blessé trois soldats et trois civils sur un marché de Yala.

1.3. Le jeudi 14 janvier, dans la province de Pattani, trois personnes ont trouvé la mort et dix-sept autres ont été blessées, dans une série d’attaques perpétrées par les terroristes islamistes. Ceux-ci ont froidement abattu un couple de bouddhistes qui se rendait au travail en moto ; ils ont ensuite brûlé leurs corps. Dans la même province, trois personnes d’une famille bouddhiste, dont une enfant de douze ans, ont été blessées après avoir été pris pour cibles par des tireurs.

2. Brefs rappels géopolitiques

Les musulmans de Thaïlande appartiennent, pour l’essentiel, au groupe ethnolinguistique austronésien (malais) et non au groupe thaï. Ils sont ainsi parents des peuples de Malaisie, des Philippines et d’Indonésie, notamment. Les Malais musulmans de Thaïlande ne représentent que 3 % de la population totale thaïlandaise (70 millions de personnes), mais ils se concentrent dans trois provinces méridionales, limitrophes de la Malaisie (Narathiwat, Pattani et Yala), dans lesquelles ils sont majoritaires. Bien qu’il soit jugé peu crédible par certains observateurs, rappelons également le projet de « Daulah Islamiyah Nusantara » (État islamique nusantarien) qui aurait les faveurs du mouvement islamiste indonésien Jemaah Islamiyah (communauté islamique) et qui aurait pour but de rassembler dans un seul État islamique l’Indonésie, la Malaisie, le Brunei, Singapour (pourtant peuplé majoritairement de Chinois), le sud des Philippines et le sud de la Thaïlande.

3. Brefs rappels historiques

En vertu du traité de Bangkok (ou traité anglo-siamois) du 10 mars 1909, la Thaïlande s'est vu reconnaître, par les Britanniques, sa souveraineté sur les actuelles provinces de Satun (majoritairement thaïe), Songkhla, Narathiwat, Pattani et Yala. Ce traité a fixé la frontière entre la Thaïlande et la Malaisie actuelles mais a eu pour résultat, comme nous l’avons dit, de voir des populations malaises et musulmanes passer sous l’autorité d’un pouvoir thaï bouddhiste. C’est là l’origine du mouvement insurrectionnel malais, islamiste et séparatiste qui sévit dans le sud de la Thaïlande aujourd’hui. Plusieurs organisations rebelles islamiques opèrent dans le sud de la Thaïlande, dont les cinq principales seraient :

  • Le BRN (fondé en 1960)
  • La PULO (fondé en 1968 ; c’était le groupe le plus actif dans les années 1970 et 1980)
  • Le GMIP (Mouvement moudjahidin islamique de Patani, fondé en 1995 par un vétéran d’Afghanistan nommé Nasoree Saesaeng)
  • Le Front uni pour l’indépendance de Patani (fondé en 1989)
  • Le Pemuda (qui signifie « jeune » en malais ; mouvement de jeunesse proche du BRN). Il existe, en outre, d’autres organisations groupusculaires. On ne connaît toutefois pas le degré de coordination qui existe entre ces différentes organisations. Plusieurs d’entre elles (BRN, PULO) ont leur base arrière en Malaisie. On évoque également une alliance entre les réseaux de narcotrafiquants et les séparatistes musulmans (et l’on évoque, en outre, des intérêts scabreux qui ne seraient pas étrangers au déclenchement de la révolte islamo-malaise). On le voit, la rébellion malaise dans le sud de la Thaïlande n’est pas un phénomène nouveau, mais le 4 janvier 2004, elle a pris une dimension particulièrement violente et spectaculaire, lorsque des bandes armées ont attaqué simultanément 93 objectifs situés dans le sud de la Thaïlande. Au cours de ces événements, 40 personnes ont été tuées et 18 écoles, de même que des installations de la police et de l’armée thaïes, ont été détruites. Cette attaque a également permis aux rebelles de s’emparer de 300 fusils d’assaut, de 40 pistolets et de deux lance-grenades M60, ainsi que d’un grand nombre de munitions. Depuis, les terroristes islamistes prennent régulièrement pour cibles des Thaïlandais bouddhistes et des musulmans qu’ils considèrent comme étant des collaborateurs des autorités thaïlandaises. Lorsque l’armée thaïlandaise a pris le pouvoir à Bangkok en septembre 2006, on a cru qu’elle se montrerait plus efficace que le gouvernement Thaksin auquel elle succédait, d’autant que le général Sonthi, l’initiateur du coup d’État, était l'un des rares cadres musulmans de haut rang dans l’armée, mais cela n’eut pas la moindre influence sur la situation insurrectionnelle au sud du pays. Que du contraire, la politique d’ouverture, d’ « accommodement raisonnable », initiée par le premier ministre Surayud, au lendemain du coup d’État militaire, s’est soldée par un fiasco total, les attentats commis par les terroristes islamo-malais ayant encore gagné en intensité et en violence. Et rien, depuis, malgré un retour aux affaires de proches de l’ancien premier ministre Thaksin, n’indique une quelconque amélioration de la situation, comme nous avons pu le constater. En six ans, l’insurrection islamo-séparatiste a causé la mort d’environ 4000 personnes.

Éric Timmermans

Sources :