Loque, de Dominique Quélen (lecture de François Rannou)

Par Florence Trocmé

 

 

 Loque vient de paraître aux éditions fissile (animées par Cédric Demangeot). Il me touche par sa fragilité constante, sa prise de distance, par la démystification à l'œuvre qui est une marque de confiance malgré tout dans la langue, les mots. C'est ce malgré tout qui me plaît. Aussi il y a une sorte d'ébullition permanente qui frémit. On est dedans, on en sort, on y rentre à nouveau, et avec une effervescence : allusions, références, jeux de miroir dans lesquels on plonge, on croit reconnaître... le doute s'installe sur ce texte dont la ligne noire de base est sans cesse activée tout en la laissant agir comme lame de fond. C’est en quelque sorte un tremblement qui secoue les langues, les repères, appâte le lecteur, l’entraîne sur un terrain comme reconnu, commun, puis le perd, l’aveugle et lui dit de tenir le mât sur ce bateau qui croise tout près des sirènes. Et si ce n’était pas en fait l’acte même de lire ? 
 
Mais est-ce simple virtuosité ? Non . Dominique Quélen dans ce livre au long cours, sans respiration autre que le décrochage, l’aparté, la digression, nous fait sentir le ce qui reste d’un corps à corps fantôme entre le monde (extérieur/ intérieur, c’est tout un) et la possibilité d’une quelconque parole fluide, continue, si ce n’est dans le leurre de sa propre continuité. C’est une sorte de spirale qu’aspire le trou noir qui ne peut être dit. Alors, avec un humour à la Satie, il nous guide, Quélen, et nous laisse en question. Qui vient hanter nos mots, et nous fait croire qu’on vit, qu’on peut vivre vraiment quand on sait ? 
 
par François Rannou 
 
Loque, avec des dessins de Tristan Bastit
éditions Fissile, 2010
152 p.
18 €