Marc Minkowski tend la Passion selon Saint-Jean à l’extrême

Publié le 05 avril 2010 par Philippe Delaide

Concert samedi 3 avril à la Salle Pleyel. Marc Minkowski dirige la Passion selon Saint-Jean de JS Bach, à la tête de son ensemble des Musiciens du Louvre-Grenoble ainsi que huit chanteurs assurant à la fois le choeur et des parties solistes.

Il s’agit ici, après un première tentative sur la Messe en si (cf. ma note pour ClassiqueInfo-disque.com du 25 mai 2009), d’une nouvelle lecture solistique de Marc Minkowski, dans la lignée de la théorie soutenue par Joshua Rifkin et Andrew Parrott, à savoir une interprétation chorale d’un chanteur par partie. Dans cet esprit, Marc Minkowski configure l’ensemble vocal avec un choeur à huit chanteurs (deux sopranos, deux altos, deux ténors et deux basses), chacun de ces chanteurs assurant également la partie soliste de son registre.

Tout comme pour la Messe en si, Marc Minkwoski opte pour une dramatisation assez marquée, perceptible dès le fameux choeur d’introduction «Herr, unser Herrscher» où le continuo, notamment la partie interprétée par le clavecin, effectue une accentuation presque morbide de la cadence imprimée par JS Bach sur choeur. Le chorus d’introduction annonce inévitablement par ses tonalités, la mort du Christ et l’instrumentarium est là, avec ce rythme implacable, opérant comme une marche funèbre, pour le rappeler de façon évidente. Dans les interprétations plus classiques avec formation chorale plus importante, y compris celles des baroqueux comme Sigiswald Kuijken qui ne déployaient un choeur ne comprenant au maximum que le double de la version soliste de Marc Minkowski (16 à 20 chanteurs maximum), l’ampleur du chant choral et les déclamations répétitives du «Herr» de «Herr, unser Herrscher» contribuaient à marquer l’accentuation dramatique avec un accompagnement instrumental plus en retrait. Face à l’inévitable ampleur limitée d’un choeur de solistes à huit voix, avec beaucoup de pragmatisme et d’intelligence, Marc Minkowski opte à l’inverse pour une accentuation dramatique avec certaines parties de l’instrumentation, notamment le continuo.

Le clavecin est alors particulièrement martelé sur le rythme du choeur d’introduction et ses sonorités métalliques contribuent à créer une atmosphère d’emblée saisissante et effrayante. Deux autres moments sont également très bien vus : celui où l’évangéliste (récitatif N°18 «Barrabas aber war ein wörder») évoque le moment où Pilate fait battre Jésus de verges, avec le violoncelle du continuo qui par coups successifs d’archet évoque inévitablement le claquement du fouet ou bien, lorsque ce même évangéliste évoque la résurrection du Christ avec la terre tremblante et les rochers qui se fendillent au moment du déchirement du temple où reposait Jésus (récitatif N°33 «Und siehe da, der Vorhang im Tempel zeriss in zwei Stück..."), avec les cordes exprimant de façon saisissante les tremblements du sol et de la pierre.

Un autre parti pris, certainement liée à la personnalité du soliste assurant le rôle de l’Evangeliste (Markus Brutscher, particulièrement en forme ce soir là), réside dans une interprétation du texte de l’évangéliste bien plus jouée et expressive que dans les versions que l’on a pu connaître jusqu’ici. On n’est plus du tout ici dans le registre des déclamations toutes maîtrisées mais d’une luminosité tout à fait divine d’un maître en la matière comme Christoph Prégardien. On se rapproche plus de ce que Ian Bostridge a tenté d’apporter (et que j’avais découvert sur ce répertoire dans une version dirigée par Simon Rattle il y a cinq ou six ans), à savoir une version plus exaltée, à fleur de peau. Toutefois, Markus Brutscher maîtrisant bien mieux le phrasé allemand temoigne d’un aisance impressionnante. Au tout début ses intonations assez appuyées, à la limite de l’exaltation interpellent non sans une certaine forme d’irritation. En revanche, au fur et à mesure que le récit de la Passion se déploie, son interprétation vibrante confère à ce dernier une intensité extraordinaire. Les chanteurs, dont la plupart faisaient partie de la distribution de la Messe en si (c’est le cas, outre Markus Brutcher, de Joanne Lunne (soprano), et Christian Immler (basse)) sont, comme pour la Messe en si, sollicités à l'extrême. Christian Immler incarne un Christ poignant, avec un chant d’une justesse exemplaire. On notera également une splendide version de l’une des arias les plus marquante «Es ist vollbracht !» par Helena Rasker, qui incarne le basculement, selon la liturgie protestante, de la poignante morte du Christ vers la félicité, une sérénité lumineuse. Elle est accompagnée par un solo de viole de gambe joué avec une finesse et un legato extraordinaire par un Atsushi Sakai particulièrement habité.

Marc Minkowski a su d’ailleurs parfaitement jouer sur le contrastes entre des moments d’une noirceur intense et des passages d’une grande douceur. Il apporte a lors un relief singulier, une belle clarté et un éclairage particulièrement passionnant, tout à fait cohérent sur cette oeuvre d’une richesse et d’une audace d’écriture rares. Il tend cette Passion à l'extrême pour faire ressortir l'extraordinaire densité du récit.

Le choeur «Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine», juste avant le choral clôturant la Passion, chanté par le choeur de huit solistes au complet était vraiment magnifique et d’une très haute tenue.

Au niveau instrumental, on notera enfin le travail exemplaire de Nils Wieboldt, véritable pilier du continuo et d’une justesse et précision extraordinaire dans les différents tournants dramatiques de cette Passion.

Il reste à espérer qu’un enregistrement au disque puisse être réalisé. Une retransmission radiophonique est certainement à prévoir vu le nombre important de micros installés. Je n'ai pas encore réussi à identifier quelle radio prévoyait de retransmettre le concert.

Lien vers le site des Musiciens du Louvre-Grenoble pour plus de précisions

JS Bach - Passion selon Saint-Jean - Ensemble des Musiciens du Louvre-Grenoble - Direction Marc Minkowski - Distribution vocale : Joanna Lunn, soprano, Judith Gauthier, soprano, Helena Rasker, alto, Owen Willetts, alto, Markus Brutscher, ténor, Nicholas Mulroy, ténor, Christian Immler, basse, Benoît Arnould, basse.