Cinéma : pourquoi nous allons bouffer de la 3D

Par Bix

Ce week-end, 2e tentative du cinéma en 3D, nouvel Eden auto-proclamé du 7e art, pour une immersion totale dans le film ; et pourquoi on va en bouffer encore longtemps.

crédit photo : daniel.he

La première tentative, comme pour une bonne quinzaine de millions de Français, c'était avec Avatar. Mon avis sur le film en lui-même ? Un divertissement sympa mais qui n'apporte strictement rien sur le fond puisqu'il se contente de transposer Pocahontas à 20 années-lumière de la Terre et se bride avec un cahier des charges tout-public étouffant 98 % de la créativité. Je pense avoir lu beaucoup mieux dans des séries B de science-fiction des années 40 et 50 et en ce qui concerne le thème de l'avatar biologique, Clifford D. Simak l'avait beaucoup mieux traité dans Demain les chiens[1]. Au niveau de la SF grand public, Matrix recyclait avec beaucoup plus de talent les thèmes classiques. Avec Avatar, on a de la SF des années 30 avec les moyens technologiques des années 2000 et la force de frappe commerciale mondialisée des années 2010. Le reste est sur la critique merdique du blog des films de merde. Du plaisir sur le coup donc, mais je doute qu'il en reste grand chose dans 3 ans, une fois que le marketing DVD sera passé[2].

La 3D est décevante et fatigue les yeux

J'avais été un peu déçu par la 3D : les couleurs me paraissaient ternes par rapport aux bandes annonce visionnées sur Dailymotion, ternes par rapport à ce que j'apercevais quand je me reposais les yeux en retirant les lunettes pendant 30 secondes. Bien sûr c'était impressionnant, mais l'apport réel me semblait bien mince. Surtout que dans les scènes d'action, celles où justement la 3e dimension est censée apporter sa réelle plus-value, je ne parvenais pas à faire ma mise au point et voyais plein de trucs flous. Ça vous l'a fait aussi ? Rassurez-moi s'il vous plait...

Ce week-end donc, Alice au pays des merveilles. Le film en lui-même m'a piteusement fait chier. J'avais l'impression de regarder un remake de l'Histoire sans fin en moins poétique, mélangé à un ersatz du Monde de Narnia. C'est dire. Hors de la 3D, j'ai l'impression que le numérique lisse vachement les effets visuels, faisant ressembler la Rome antique de Gladiator au Coruscant de la Menace fantôme, les scènes de foule d'Alice aux scènes de foule du Seigneur des anneaux (en moins bien forcément). Comme si la "patte" du réalisateur était diluée dans la technique inhérente et obligatoire pour obtenir de telles effets.

Soyons clair : les grosses lunettes n'apportent strictement rien au film, à part l'assombrir considérablement. Les scènes de chute essaient bien d'ajouter des effets de surprise (piano dans le visage) ou les personnages lancent bien des soucoupes vers les spectateurs, mais je n'ai pas vu la salle prise de panique. On est plus au temps de l'entrée en gare de la Ciotat (personne n'a pensé à le coloriser et le mettre en 3D à propos ?) ! Paradoxalement, j'ai trouvé la 3e dimension plus utile et plus impressionnante pour les plans fixes avec profondeur de champ. Pour ceux qui ont vu le film : les plans au-dessus du kiosque, les dialogues du tout début ou la salle du trône de la Reine rouge. Un peu mince cependant pour justifier les 3 euros de plus alors que le ticket commence à dépasser les 10 euros dans de plus en plus de salles multiplexes.

Mais pourquoi va-t-on en bouffer ?

Dans sa tentative désespérée de lutter contre le piratage de ses films, l'industrie cinématographique pense probablement avoir trouvé le remède miracle. La 3e dimension ! Enfin, quelque chose vraiment impossible à reproduire dans son salon. Pas de bol, les écrans 3D débarqueront dans les salons à court terme (quelques années tout au plus). De toute façon, entre le coût prohibitif de la place et l'apport ridicule de cette technologie, je ne vois pas où serait le frein au streaming et P2P généralisés des catalogues Hollywood.

Mais comme c'est dans l'intérêt de toute l'industrie dominante du cinéma, mon petit doigt me dit qu'on va continuer à voir de plus en plus de films en 3D. Pour les studios, c'est une assurance (bien mince) contre le piratage. Pour les distributeurs, c'est la garantie pendant encore une paire d'années d'un buzz positif dans les médias rien que grâce à la 3D, avant que la curiosité ne s'émousse. Pour les salles, c'est une marge supplémentaire non négligeable à chaque ticket (qu'on ne me fasse pas croire que le prix des lunettes et la casse justifient les 3 € supplémentaires). Les salles indépendantes ne sont que des ronchons, qu'on se le dise ! Déjà qu'elles peinent à s'équiper en Dolby Surround...

Pendant ce temps, les constructeurs d'écrans, Samsung, Philips, LG... fourbissent leur nouveau matériel de-la-mort-qui-tue pour avoir la 3e dimension jusque dans son canapé, histoire de rendre la haute-définition obsolète dans 10 ans. Le piratage à grande échelle de la 3D sera alors possible et la boucle sera bouclée.

Je vais jouer mon vieux con, mais je ne vois pas, pour l'instant en tout cas, la 3D comme un apport révolutionnaire au cinéma, c'est sympa pour une attraction au Futuroscope mais le but du cinéma est de raconter des histoires. Le passage du muet au parlant et le passage au tout numérique (chaîne de production et trucages) ont à mon avis bien plus modifié le cinéma et ses codes narratifs que ne pourra le faire le port de grosses lunettes à 3 euros la séance.


Notes

[1] Que j'aime faire mon pédant !

[2] Je sens d'ailleurs venir le bon co-branding bien baveux avec l'écran Samsung 3D Led...