Le cinéma en bourse, le retour

Par Rom_j

Il y a quelques mois, ce blog vous parlait des jeux de spéculation autour du cinéma qui existaient outre Atlantique : certains sites proposent depuis plusieurs années de parier de l’argent virtuel sur les résultats des films au box office, mettant en branle des mécanismes aussi poussés qu’un véritable marché boursier. La « bourse du cinéma » refait l’actualité ces temps-ci puisque la Commodity Futures Trading Commission (CFTC, agence fédérale qui régule le marché des matières premières)  est sur le point de décider si les spéculateurs du cinéma Américain vont pouvoir commencer à jouer avec de vrais dollars.

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L’enjeu est de taille : peut-on transformer un film en produit financier qu’on s’échangerait comme un baril de pétrole, ou un quintal de blé ? « Tiens je te file du Batman contre le prochain Spielberg » ; « Bouge pas je te fais un portefeuille comédie auteur avec du Moretti, du Allen et du Sofia Coppola » ; « Ah non, tente pas de me refourguer du film de genre français, tu sais très bien que ça se gaufre à tous les coups »…

Avant de dénoncer trop vite la mort de l’art, rationalisons. Quels sont les mécanismes en jeu dans ce type de marché ? Les défenseurs de cette nouvelle bourse invoquent la possibilité pour les producteurs de limiter leur risque tout comme le font les agriculteurs qui produisent des céréales, cotées également. Prenons donc l’exemple du producteur de blé. En janvier un type vient le voir et lui dit : « Je te prends 1 000 tonnes de ta récolte de blé dans 6 mois, mais on décide maintenant du prix, ce sera 130 € la tonne ». On voit tout de suite l’enjeu pour le producteur : il est sûr d’écouler une partie de sa récolte à un prix raisonnable, mais il prend le risque que les cours soient bien plus élevés d’ici Août ou qu’une catastrophe l’empêche de livrer. Pour le type, généralement un courtier, il s’agit désormais de revendre au prix fort ce « produit », tel quel ou machiné en produits dérivés.

Comment cela s’appliquerait-il dans le cinéma ? A priori il y aurait un type qui viendrait voir le producteur à un certain stade de la création du film – développement, financement, production, autant d’étapes et donc de niveaux de risque différents – et qui lui dirait : « Je te prends 10% de ton film au moment où il est fini, mais on décide maintenant du prix, ce sera 500 000 € ». Jusqu’ici, ce sont des méthodes extrêmement répandues, sous la forme de coproductions ou de pré-achats par exemple. Mais désormais, le type qui a acheté les 10% du film aurait le droit de les machiner en produits dérivés et de les revendre comme il le souhaite et à qui il le souhaite.

Actuellement le système du « minimum garanti » – soit une avance ferme et définitive sur les recettes à venir d’un film avant même que la production du film ait démarré – s’apparente de manière assez proche au marché à terme utilisé en bourse, du point de vue du producteur en tout cas. Le gros avantage serait donc de permettre au producteur de diversifier ses sources de financement. Il me manque  2 millions dans mon plan de financement, je vais mettre 20% de mon film en bourse. Mais si on n’a pas été capable de financer une partie de son film, se tourner en dernier recours et en position de faiblesse vers le marché n’est pas forcément une bonne solution… Les majors hollywoodiennes, représentées par la MPAA, se sont farouchement opposées à ce projet.

Il n’est donc pas évident de savoir quel sera l’avantage pour les producteurs, d’autant plus que les problèmes éthiques – droit moral sur le film, spéculation sur un art majeur – et économiques – système adapté aux produits indéterminés comme les céréales que l’on transpose à un marché de prototype comme le cinéma, risque considérable de délit d’initiés – vont rendre d’autant plus compliquée la mise en place d’un tel marché.

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