re-lecture : "Les pierres sauvages" de Fernand Pouillon

Par Dina_gar

12 avril 2010

re-lecture : "Les pierres sauvages" de Fernand Pouillon

     J'ai lu ce livre à sa sortie dans les années 60.  Dans une librairie je l'ai vu en édition de poche  (points -Seuil) et j'ai eu envie de le relire .Il en existe une belle  édition  avec photos , assez chère.

     Le Maître d'oeuvre, Frère Pierre, prieur de l'abbaye Notre Dame de Florielle , écrit le journal de la naissance et mise en chantier de l'abbaye du Thoronet  , située à 24 km de la première ,  entre Aix en Provence et Draguignan. Assez jeune j'ai été prise de passion pour les abbayes cisterciennes , aidée en celà  par les ouvrages des éditions du Zodiaque -qui n'existent plus-, imprimés sur les presses monastiques de La Pierre-qui-Vire (Yonne)  C'est à l'époque où l'architecte Fernand Pouillon a eu des problèmes dont on parlait à la radio qu'il a commencé  l'écriture de ce livre vers 1960  "Les Pierres sauvages" a eu le prix  des Deux-Magots en 1965.

     C'est un récit magnifique  , très  émouvant  Il commence en mars 1161 quand le maître d'oeuvre est "chargé à nouveau" de construire un monastère ; ce sera  sa dernière  tâche , l'abbaye du Thoronet  ,la première -et la plus belle , selon moi - des trois abbayes cisterciennes de Provence , avec  Senanque et Silvacane...   C'est difficile d'imaginer ce qu'est la construction d'une abbaye au XII ème siècle,  loin de tout endroit habité , il suffit qu'il y ait de l'eau (source ou cours d'eau) , de la terre pour les cultures qui assurent la subsistance des moines et convers  et les matériaux : pierre, argile et bois ..  Le Thoronet  est situé en plein bois , je l'ai vue il y a une quarantaine d'années , je ne me souviens plus si j'ai pu y accéder en voiture ; A l'époque elle était peu visitée ...  La mise en place du chantier  représente plus de la moitié du livre : défricher ,  garder les bois utiles et même les moindres branches pour le chauffage  et les feux du four et de la forge (pas encore construits). Parmi les convers et les compagnons il faut donc un  potier (pots et tuiles) , un forgeron (les outils et objets en fer ) des carriers pour extraire la pierre du lieu même si elle est dure  et moins belle que celle extraite plus loin ... Ce sont ces pierres  de l'endroit qui sont les "pierres sauvages " ,  ingrates , difficiles à travailler mais qui ont l'avantage d'être là.   En somme , on part de rien et il faut tout , d'abord pour la vie en communauté , moines , convers, compagnons  avec des cabanes provisoires en attendant mieux ,pour le travail qui est harassant , pour les mules qui tirent les charrois ... C'est long , parfois décourageant. Puis  c'est la conception de l'abbaye. Le Maître  d'oeuvre ne fera ses premiers dessins qu'aux deux -tiers du livre, après une longue gestation et celà viendra  presque tout à coup  , comme si c'était une évidence et ce sera le chef-d'oeuvre d'un moine bâtisseur...."Vienne mon courage me faire pénétrer dans mon orgueilleuse fonction! Ma volonté fera que bientôt se dressera le témoignage de ma puissance. Je suis la parcelle divinequi recrée la matière, transforme la nature,et pour toujours, sème l'émotion dans le coeur des pélerins  "(pages 101-102)  et plus loin , page 126 , "...la beauté ne peut exister sans équilibre, la technique sans matière, et , pour finir, l'équilibre sans beauté "

    La relecture de ce livre me donne l'envie de revoir cette abbaye   .. Il y a 4ou5 ans j'ai revu Sénanque  et ce fut une expérience que je ne renouvellerais pas , à moins d'y aller " hors saison " avec un temps maussade ,  car  il y avait une foule  énorme.   Je crains qu'au Thoronet ce soit presque pareil . C'est impossible de voir une abbaye  dans ces conditions ...;il manque le recueillement ,  le besoin d'être seul  dans le contact avec la pierre, la lumière , la beauté du lieu  et l'émotion qui naît de tout cela....