Agent double : parie osé et réussi

Par Rob Gordon
Utiliser les codes du film d'espionnage pour réinventer le drame : c'est le pari osé par Billy Ray, qui relève le défi haut la main. Agent double est un film ambitieux et éblouissant, le face-à-face de deux hommes dont le seul point commun est qu'ils passent copieusement à côté de leurs vies. La trame est classique : un jeune blanc-bec est chargé malgré lui de surveiller les faits et gestes d'un ponte du FBI suspecté d'être un agent double à la solde de l'URSS. Sur de point de départ, Ray brode un canevas à la fois minimaliste et universel, la lutte à demi-mots des deux hommes pouvant être vue comme le révélateur de la perversité humaine.
Agent double fait penser aux meilleurs romans de John Le Carré, l'épure en plus. On quitte très rarement les bureaux du FBI, la violence est plus morale que physique, et les scènes les plus haletantes sont celles où le héros doit subtiliser un document et le ranger dans la bonne pochette. Ce minimalisme doit sa réussite au charisme des interprètes. Ryan Phillippe est étonnant en jeune agent, confirmant film après film qu'il vaut mieux que ses débuts dans des teen-movies peu recommandables. Mais la vraie attraction du film, c'est Chris Cooper, absolument prodigieux dans le rôle-titre. Il donne à son personnage, un agent tatillon, exigeant, impressionnant et dangereux, une dimension supérieure. Sans lui, le film n'aurait probablement pas eu le même intérêt.
Si cette affaire de traîtrise est évidemment au coeur du film, c'est pour mieux embrasser les destins étonnants de ces hommes de l'ombre (intègres ou non). Des individus prêts à mettre leur vie de côté pour servir leur pays, comme si la vie n'était pas assez courte. On sent la tristesse poindre à chaque instant dans les regards des personnages. Un spleen latent qui participe à la réussite d'un film passionnant, dense et singulier. Étonnant de la part d'un réalisateur qui s'était contenté jusque là d'écrire beaucoup de très mauvais scénarios (de Color of night à Volcano).
8/10