« Et Moha s’injurie, et Moha se maudit en tirant la courte corde de sa chienne de vie, sans grandes œuvres, ponctuée de basses manœuvres » [Moha - La Rumeur]

Publié le 12 mars 2010 par Lababouchk


"Entre les 4 murs stériles de ma prison", mon texte aurait pu commencer  ainsi et je me suis dit… (oui parfois je réfléchie) que c’était m’enfoncer d'avantage dans ma réclusion en leurs donner un peu plus raison… que c’était cracher à la gueule, sur le sort et la détresse des vrais détenus. Je pensais que la différence entre eux et moi, était qu’ils connaissaient la date limite de leur sentence… et là j’ai pensé à Moha*. Je me suis souvenue de la visite que je lui avais rendu au parloir-zoo de Kenitra où les détenus-sardines s’entassent… là tu te dis que la surpopulation carcérale en France c’est du pipi de chat quand tu sais que Moha et les autres, étaient à plus de 130 par cellule ! Moha passait pourtant pour un privilégié. Sa famille bakshichait pour que ses conditions de détention se rapprochent un peu de l’humanité : un soutien illimité des siens, les paniers hebdomadaires et la « location » du mètre carré déstiné à poser sa paillasse… Ces détails qui sont beaucoup et si peu à la fois, n’ont pas suffit à rendre sa vie moins amère. Je vous épargne (surtout à moi-même) l’insoutenable catalogue des conditions en milieu carcéral d’ici ou d’ailleurs et préfère garder ma peine et mes larmes pour mon frère fillah que je ne retrouverai plus. Libéré, Moha n’a plus jamais été lui-même. A présent, enfermé dedans,  il est emmuré dans de longs silences, le regard parfois vitreux et l’œil souvent humide. Il n’est plus que l’ombre de son ombre, un super-autiste qui intériorise plus que de raison. Qu’est devenu celui qui répétait sans cesse : « Viens on y va, le monde est à nous » ? Aujourd’hui, il n’a plus soif d’aventure, sa seule bataille reste de survivre et de ne pas se laisser happer par ses démons intérieurs qui parfois lui chuchotent  de quitter la vie. Son univers s’est réduit au minimum : métro-boulot bibliothèque-dodo… Lui qui n’aimait pas lire, la lecture est à présent son seul refuge & en partie a été son seul salut, lorsque enfermé il avait besoin d’évasion. Moha me manque ! Non pas le flambeur qui sommeilait en lui, qui vivait la « good life », cette « splendeur » que beaucoup enviaient. Ces derniers disaient qu’il avait eu ce qu'il méritait parce que « les bénéfices ça se divise mais que la réclusion ça s’additionne ». Non, le Moha qui me manque est celui dont le rire était une vraie mélodie, l'enfant avec qui je jouais à cache-cache, celui qui m’a initié à l’art de la fugue (jusqu’à Mammouth), qui m’a offert ma première K7 (NWA) et ma première cotisation pour le cours de modern-jazz. Cet ex-doux rêveur qui a donné des moyens à ses faims mais qui n’a toujours pas digéré…  L’écriture reste le seul moyen pour lui de verbaliser, de me faire partager son univers. Ses lettres m’ont permis de percer un peu plus le mystère qu’il est devenu et les angoisses qui l’habitent. Moha, mon frère fillah, je t’aime qui que tu sois aujourd’hui, et à présent que je suis cloitrée dans ma cellule sans barreau, je comprends un peu plus ton mutisme… mais jamais assez finalement.

Ces quelques mots ne sont rien, et n’effaceront en rien ce que la justice des hommes a fait de toi. Elle t’a tue à petit feu et a volé un bout de ton âme. Même le pire des hommes ne mérite pas une détention aussi sordide. « Un peu de sel sur une plaie ouverte… Un peu de sel sur une plaie ouverte… ». Il n’y a pas une semaine où je ne pense pas à toi, à ta mère ou à cette douleur profonde qui réside en toi. Pour ponctuer ces quelques maux je te dédis cette récitation litanique de Brigitte Fontaine car toi le silencieux, tu as la mystique du Soufi : tu es « le maudit et le cœur caché». Et comme ton avocat l’avait écrit à Houssin : « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil » [R. CHAR].

* Moha ne s’appelle pas Moha mais il n’aimerait pas voir son prénom lâché entre ses lignes.