Le crash de Stéphane Guillon

Publié le 16 avril 2010 par Sylvainrakotoarison

Cette nuit, j’ai rêvé que Stéphane Guillon allait être viré…


La chronique de Stéphane Guillon du 13 avril 2010 a montré explicitement que l’humoristique souhaitait quitter France Inter, mais dans les meilleures conditions, comme un martyr de la liberté d’expression.   En parodiant la tragédie polonaise de Smolensk où le Président polonais Lech Kaczynski et près d’une centaine d’autres passagers ont péri dans un terrible accident d’avion, Stéphane Guillon a franchi une nouvelle étape dans son humour caustique.  

Un affreux rêve

En effet, il dit avoir rêvé d’un accident similaire qui aurait fait perdre la vie au Président Nicolas Sarkozy et à la plupart des ministres du gouvernement français. Si l’humour est noir, glauque et douteux, tant pour les familles des victimes polonaises que pour celle de Nicolas Sarkozy (entre autres), il répond cependant à la règle classique du saltimbanque : je raconte des blagues pour amuser la galerie.  

Étrangement, c’était déjà ce genre de "rêve" qu’on pouvait lire dès l’annonce du crash du 10 avril 2010 dans beaucoup de forums sur Internet. Des réflexions très antisarkozystes primaires et toujours anonymes du genre : "dommage que cela ne soit pas tombé chez nous".   Il est vrai qu’il y a une marge entre le souhait réel de la mort de Nicolas Sarkozy et cet humour finalement potache bien que politiquement incorrect de Stéphane Guillon. Je note d’ailleurs que l’idée lui est peut-être venue en observant les réactions de ces internautes puisque son "rêve" a mis un certain temps avant d’éclore.  

Pourquoi pas ? L’humour de mauvais goût a son public et visiblement, il est apprécié.  

Un scud au patron

  Ce qui est plus choquant, en revanche, c’est qu’au milieu de sa chronique, il glisse un nouveau scud contre son patron, Jean-Luc Hees, le président de Radio France. En décrivant la réaction des gens face à son "rêve", il décrit (par imitation de présentateur interposée) ainsi son employeur : « Très affecté également, le président de Radio France, Jean-Luc Hees, déclarait à notre micro il y a quelques minutes avoir perdu son deuxième papa. ».    

Un rappel de la fouine

Toujours dans son matraquage contre Éric Besson qui aurait péri aussi dans son "rêve", Stéphane Guillon poursuit ainsi : « À l’heure où nous parlons, la dépouille de monsieur Besson se trouve toujours à Bruxelles car ni sa famille, ni l’UMP, ni évidemment le Parti socialiste ne souhaitent la récupérer. Ah ! Vincent, Vincent ! On me souffle dans mon oreillette que l’ADF, l’association de défense des fouines serait prête à accueillir la dépouille du ministre. Très beau geste s’il en est. ».    

Humour ?

Un peu plus loin encore, Stéphane Guillon évoque un cercueil d’enfant pour Nicolas Sarkozy et laisse paraître sa déception que Frédéric Lefebvre n’ait pas été présent dans l’avion… (« Quel dommage qu’il n’ait pas été à bord »). Évidemment, tout cela est de l’humour et est faux (comme l’histoire des singes vaccinés). Évidemment qu’avec un peu de recul, on peut presque en rire.

Mais il y a un véritable problème qui met mal à l’aise.

Rire de Nicolas Sarkozy est finalement le propre d’un leader politique, et a fortiori du Président de la République. Il semble que ce dernier a été particulièrement bien servi depuis 2002 mais peut-être n’est-ce le résultat que de son propre comportement. C’est la règle du jeu pour tout acteur public. Il faut savoir l’accepter quand on s’expose.   L’insistance contre Éric Besson peut apparaître, elle, comme un véritable harcèlement personnel, mais comme Nicolas Sarkozy, Éric Besson est un personnage public et est forcément soumis à toute sorte de jugements, négatifs ou positifs. À lui de l’assumer.    

Provocations

Ce qui est moins normal, en revanche, c’est qu’une fois de plus, Stéphane Guillon règle ses comptes avec Jean-Luc Hees, son employeur.  

Le 1er avril 2010, le président de Radio France avait fait publier dans "Le Monde" une tribune où il essayait de faire comprendre que la liberté d’expression n’était pas en cause mais qu’il devait y avoir des limites, notamment lorsqu’on parle de "fouine", qui était un vocabulaire utilisé dans la première moitié du siècle dernier avec une certaine connotation.  

Jean-Luc Hees expliquait ainsi : « Il se trouve que l’humoriste n’a que deux limites : celle de l’acceptabilité des citoyens (dont il est le premier juge). Et puis celle des grandes valeurs morales qui scellent le pacte républicain. C’est là que le bât blesse. » poursuivant ensuite : « Nous avons une histoire. Qui nous enseigne que l’attaque personnelle, fondée sur le physique de la personne, fait partie de ces valeurs infranchissables. Les années sombres, les références tellement amusantes aux yeux de fouine, au nez et aux doigts crochus, sont là pour nous le rappeler. Là, la plaisanterie doit s’arrêter. L’humour a ses frontières qui sont celles de la morale républicaine. ».   L’avertissement était très clair. Et Stéphane Guillon s’assoit dessus tellement lourdement qu’il en rajoute encore avec les fouines et avec une prétendue allégeance de Jean-Luc Hees (qui a été nommé par Nicolas Sarkozy seulement en raison de la réforme de l’audiovisuel, contestée par certains parlementaires de la majorité, si bien que n’importe quel président de Radio France aurait ce même procès de dépendance, puisqu’elle a été institutionnalisée).  

Partir, mais… bien !

L’affaire est donc entendue. Stéphane Guillon n’a plus envie de rester sur France Inter. Sa chronique lui a apporté une très belle caisse de résonance. Ses spectacles (qui, apparemment, sont fort intéressants) et ses autres activités audiovisuelles lui occupent sans doute plus l’esprit et il sait de toute façon qu’il n’aura aucun mal à demander un droit d’asile à RTL ou à Europe 1 dans la mesure où c’est lui qui mène l’audience de sa tranche horaire le matin.  

Ce qui est plus sournois, c’est qu’au lieu de partir comme n’importe quel démissionnaire, il cherche, subtilement (peut-on lui reprocher son humour au second degré, puisqu’il s’agit d’un "rêve" ?), à monnayer ce départ par une sorte de victimisation.  

Dans son article du 14 avril 2010 sur "France Soir", Dominique de Montvalon craint le surrégime pour Stéphane Guillon et pense que « le film est écrit » : « Jean-Luc Hees va finir par lui dire gentiment que son contrat à France Inter ne sera pas renouvelé. Mais partir comme ça, non ! Alors, au micro, Guillon fait monter les enchères, multiplie les "provocs" et attend qu’on se décide à lui indiquer la porte. Au lieu de n’être pas reconduit, il serait alors martyr, ce statut convoité. Quelle époque ! ».  

Car pour Dominique de Montvalon, « s’agissant de Guillon, la moindre critique, la moindre prise de distance, le moindre bémol sont aussitôt pointés d’un doigt vengeur : censure, attentat contre la liberté d’expression ».   Des mots peu éloignés de ceux de Jean-Luc Hees qui contestait à Stéphane Guillon le fait « qu’en s’autoproclamant génial et intouchable, on s’assure un droit inaliénable de propriété d’un bien public, alors que tant d’autres doivent, chaque jour que Dieu fait, montrer la preuve de leur talent ».    

Fin de contrat exposée

Heureusement que tous les salariés qui se séparent de leur employeur n’adoptent pas l’attitude de Stéphane Guillon qui instrumentalise l’humour politique à des fins purement personnelles. Il se moque bien des auditeurs : depuis plusieurs mois, Stéphane Guillon négocie sa fin de contrat. En les prenant un peu trop à témoins.