De quelques applications du principe de précaution

Publié le 21 avril 2010 par Lecriducontribuable

Hier encore, aucune griffe dans l’azur, le silence angoissant de l’anormalité. Aujourd’hui, les traînées laissées par les avions dans le ciel européen reforment leur réseau resserré et rassurant, comme si le monde s’était soudain remis en mouvement. Des esprits habitués à se laisser conduire n’ont peut-être vu dans la paralysie imposée du trafic aérien qu’une charitable mesure destinée à sauver leurs vies (devaient-ils seulement prendre l’avion ces jours-ci ?), sinon une subtile façon pour l’État de ne pas pécher par omission ? Pas nous.

Cette mesure est — clame-t-on — une application du principe de précaution, dernière justification des grandiloquences de l’État-nurse, article 16 des temps de paix, inversé cependant, qui ne laisse pas les pleins-pouvoirs au bénéfice d’un seul pour calmer toute les peurs mais de toutes les peurs pour éviter de se confronter à une seule. Principe « qui fait partie de la modernité », cependant, diront certains et pas des moins libéraux. Nous voulons bien que dans une « société du risque intégré », devant les nouveaux risques sanitaires ou sécuritaires, la précaution puisse inspirer la réponse des États à des faits imprévisibles, extérieurs et irrésistibles. Toutefois, il semble que l’application manichéenne d’un principe de précaution agisse comme un annihilateur d’action, interdisant la nuance dans les efforts de gestion de crise concomitants et produisant des effets collatéraux dont le contribuable n’a pas fini de faire les frais.

Nous nous en souvenons, le gouvernement français avait dépensé 670 millions d’euros pour l’achat de 94 millions de doses de vaccins contre la grippe A cet hiver, sans compter le coût de fonctionnement des centres de vaccination ou de la rémunération des médecins et des infirmières. Chaque jour, des milliers de doses étaient jetées au rebut à cause de leur trop rapide péremption. Seulement 5 millions de Français s’étaient fait vacciner. Mauvaise gestion qui avait ensuite conduit l’État à devoir rembourser une partie des commandes non honorées aux laboratoires pharmaceutiques. Vaste gaspillage, mais la santé n’a pas de prix…

L’État-Providence est mort, vive l’État-Providence ! Non content d’avoir à supporter financièrement le lourd héritage laissé par son aïeul, l’État-Providence nouvelle mouture franchit un pas supplémentaire dans la gestion omnisciente des ressources du pays. La crise de la grippe A en grande partie et la crise du nuage de cendres sont de cette nouvelle farine. Selon les dernières estimations de l’IATA (Association internationale du transport aérien) l’arrêt du trafic aérien en Europe du Nord ces six derniers jours, sans compter les dépenses d’hébergement ou de transport supplémentaires a généré un manque à gagner de 1,26 milliard d’euros aux compagnies aériennes affectées. Des compagnies de petite taille seront acculées à la faillite. Mais plus encore, tous les secteurs qui dépendent de quelque manière que ce soit du trafic aérien sont touchés.

La sécurité  doit rester une priorité, c’est entendu, mais il semble qu’en la matière, dans un monde idolâtre de sa connaissance, quand on ne sait pas, on ne parvienne pas à trouver un juste milieu entre la peine maximale et l’abstention totale. Autrement dit, que la connaissance ne soit pas le seul moteur de nos actions n’est plus envisagé. En d’autres termes encore, la prudence, qui est une manière vertueuse de conduire ses actions même dans l’inconnu, n’existe plus ; la précaution, qui est une réaction d’évitement face à l’inconnu, a pris le dessus.

Un principe de bon sens pourrait aussi bien être inscrit au frontispice de la Constitution. Si l’on en croit Descartes en son pays, bon sens et raison vont de pair. Gageons au moins qu’une application raisonnable du « principe de précaution » lui rendrait son utilité.

Bruno Sentejoie