Une discipline sportive 100% camerounaise ?

Publié le 19 avril 2010 par Atango

Parce qu'il faut de temps en temps revisiter nos classiques, je relisais l'autre jour "Mission Terminée" de Mongo Beti. Ceux qui connaissent cette œuvre se rappellent sans doute l'épisode au cours duquel Medza entre dans le village de Kala au moment même où se déroule une rencontre sportive : il s'agit d'une partie de balle à la sagaie, encore appelée "njeck", dans laquelle s'illustre brillamment le héros du village, Zambo-fils-de-Mama.

 Cet épisode est narré dans une œuvre de fiction, certes, mais le "njeck" est loin d'être une chimère. Il s'agit d'un jeu qui fut régulièrement pratiqué par les peuples du Sud-Cameroun. J'en veux pour preuve cet extrait du livre "Un homme blindé à Bir-Hakeim : récit d'un sous-officier camerounais qui a fait la guerre de 39-45", autobiographie publiée en 2000 par Raphaël Onana, aux éditions l'Harmattan : 

 "S'agissant de jeu, sur le plan collectif, nous jouions à la balle. Non pas le football ; mais la balle à la sagaie. Cet excellent jeu a, aujourd'hui, presque totalement disparu de nos campagnes… Deux équipes s'affrontaient sur la grande cour du village. Par l'intermédiaire de leurs athlètes les plus puissants, chaque équipe, quand son tour arrivait, lançait violemment contre le camp adverse la balle (un fruit sauvage en réalité, connu sous le nom de "ngeg"). A l'aide de leurs sagaies bien effilées, les joueurs, placés en ligne, tentaient de transpercer la balle filante.

 Au-delà du plaisir normal que tout jeu procure, généralement, la balle à la sagaie était très profitable aux petits garçons que nous étions : elle éprouvait notre dextérité ; elle exerçait notre coup d'œil, par rapport à l'instant le plus fugace ; et, surtout, elle conférait, au fil des mois et des années, ces réflexes admirables qui, plus tard, ont fait de certains d'entre nous de redoutables chasseurs, maniant parfaitement la lance." (Cité avec l'aimable autorisation des éditions l'Harmattan)

 Encore mieux : figurez-vous que ce sport est toujours pratiqué dans certains endroits, comme l'atteste cet article publié par le professeur Thierry Terret, qui a mené une étude ethnographique au sein du peuple Bagyeli (région de Lolodorf) :

"LeYende est un jeu d’adresse qui oppose deux groupes d’individus dont le nombre n’est pas arrêté. Il se déroule sur un espace dégagé pouvant varier de 30 à 100 mètres, chaque équipe étant placée de chaque côté avec une répartition des joueurs plus ou moins linéaire. Chaque joueur possède une fine lance d’environ un mètre de long (Bagou), taillée dans un bois dur. La cible (Nkinde) consiste en une rondelle de bois de 20 à 30 centimètres de diamètre et de quelques centimètres d’épaisseur, coupée dans le tronc tendre d’un parasolier par exemple. Il est possible d’avoir une réserve de cinq ou six cibles, mais une seule suffit pour démarrer le jeu. Celui-ci commence avec le lancer de la cible après quelques pas d’élan par l’un des joueurs en direction de l’autre équipe. LeNkindeest ici tenu à pleine main par la tranche, au-dessus et à l’arrière de l’épaule, avant d’être projeté violemment vers l’avant et le bas, de manière à ce qu’il roule à grande vitesse sur la tranche, tout en rebondissant au moindre obstacle rencontré au sol. Les joueurs de l’équipe adverse doivent arrêter la course de cette cible d’un lancer de sagaie quand elle passe devant eux : au fur et à mesure qu’elle dépasse chacun d’entre eux, sa vitesse et ses rebonds diminuent, rendant la tâche progressivement plus facile. Le joueur ayant arrêté la cible, marque un point et devient à son tour lanceur en direction de l’autre équipe. La première équipe atteignant dix points a gagné." (Extrait de Terret T., Abena A., "Bapea,Yendeet Football chez les Pygmées Bagyeli du Sud Cameroun. Pratiques sportives et activités physiques traditionnelles", inSTAPS, n° 68, été 2005, 55-75, publié avec l'aimable autorisation de l'auteur).

 Ainsi, qu'on l'appelle "njeck", "ngeg" ou "yende", il s'agit exactement de la même activité, qui ne demande qu'à être organisée et réglementée pour devenir un sport à part entière.

 Il faut rappeler que nous avons au Cameroun les fédérations suivantes : Football, Athlétisme, Badminton, Base Ball, Soft Ball, Basket-ball, Billard, Boxe, Catch, Cricket, Bodybuilding, Cyclisme, Danses Sportives et Disciplines Affinitaires, Gymnastiques, Haltérophilie, Handball, Jeu de dames, Judo, Karaté et Disciplines et Affinitaires, Karting, Lawn Tennis, Luttes, Nanbudo, Natation, Patins à Roulettes, Pétanque, Rugby, Savates et Kick Boxing, Sports pour Handicapés, Sports Nautiques, Sports pour Tous, Sport du Travail, Taekwondo, Tennis de Table et Volley-ball.

 Je m'interroge beaucoup sur les vertus sportives du cricket version équatoriale, et je cherche encore quel est l'apport du karting à l'épanouissement physique et intellectuel de la jeunesse camerounaise. Mais ne soyons pas mauvais joueur. Disons juste qu'au lendemain de l'anniversaire des cinquante ans de notre indépendance, il serait peut-être temps de créer la FCBS (Fédération Camerounaise de la Balle à la Sagaie), qui pourra offrir à nos jeunes l'occasion de pratiquer, enfin, un sport véritablement originaire du berceau de leurs ancêtres.

 D'ailleurs je vois d'ici les prochains Jeux Universitaires : le tournoi de njeck (laissons tomber les guillemets) viendra en clôture, juste après la finale de Soft Ball. On prend les paris ?