SERVICE ::: A la recherche des vraies Nouvelles Stars

Publié le 25 avril 2010 par Gonzai

A sa manière, c'est dire à dire sans, le dernier numéro[1] du mensuel Rock & Folk donnait ce mois-ci une belle vision de ce qu'est devenu le rock en France depuis qu'il est tenu par des pigistes à jabots et autres comtes de la noblesse endimanchée.

Avant de revenir en détail sur l'éclosion du nouveau phénomène (Service) signé chez Pan European Recording, petite virée sur l'autoroute de l'écriture conventionnelle bordée pourtant de bonnes intentions. A la fin, on apprendra sans surprise qu'à force de faire du stop pour avancer, la vieille garde du rock à la française évite désormais soigneusement de regarder droit devant.

Page 1. Tout commence sur la couverture du magazine, mettant à l'honneur Dr Feelgood, un groupe de pub-rockeurs fort apprécié par le comptoir des PMU, Shane MacGowan (son cardiologue acquiesce) et la poignée croissante de grabataires qui peuplent notre pays et prolongent mai 68 en militant, à l'inverse des Stones, pour la retraite à 60 ans. Plus que l'envie de refléter les goûts d'un lectorat vieillissant amateurs de valeurs sécurisantes et agonisantes[2], Philippe Manœuvre, à défaut d'avoir du goût, rend ici hommage à son mentor, Marc Zermati. Passionné par Wilko Johnson[3], fondateur de l'Open Market et homme de toutes les missions rock depuis la fin des sixties, Zermati reste à Manœuvre ce que le thermomètre est à la fièvre : Une douloureuse nécessité. Qui ne cesse de rappeler sa présence, ombre planante, sur tous les choix éditoriaux du dur à cuire depuis, peu ou prou, quinze ans. Ne pas s'étonner donc, de l'édito memoriam à Zermat', qui sent ici tout autant la haute fidélité[4] que l'excès de zèle au maestro.

Page 15. Publicité Photo pleine page pour les Dead Weather et leur nouvel album Sea of Cowards, très attendu par l'amicale des boulistes de Cherbourg.

Page 26. On apprend que Malcolm McLaren était « le dernier des grands excentriques ». Un page plus loin, dans un style avouons-le très enlevé et parfois lumineux, plein feux sur Gush, « quelque part entre les Beach Boys et Jacksons (...) assimilant le meilleur de The Band, McCartney et Stevie Wonder ». Comme le résume fort bien le comique Thomas Vandenberghe dans son papier à peau d'oriflammes, « Gush chante en anglais et le fait bien ». On repose le journal dix secondes, un scooter passe et deux décolletés virevoltent comme du pollen, on replonge : « C'est vrai qu'une carrière à la Phoenix, ça nous fait un peu rêver ».  J'ai un peu envie de mourir, mais continuons.

Page 39. On lit avec attention que The Soft Pack fut très courtisé à l'occasion de son passage à Paris, de quoi donner envie d'une « rencontre avec la section rythmique de The Soft Pack, soit David Lantzman, bassiste, et Brian Hill, batteur volubile ». En français décodé, l'histoire retiendra surtout que 1. Pas de bol Eric Delsart, le chanteur n'était pas dispo pour l'interview. 2. Papoter avec une section rythmique, c'est excitant comme une cystite dans un slip en laine et 3. Qu'on tue encore des arbres pour presque trois fois rien. Deux pages avant, c'était l'interview de Camille Bazbaz, sosie des deux Carlos (le terroriste, le chanteur) avec le rock en oasis. Question de R&F à Bazbaz : « Faut-il être un virtuose pour tenter l'expérience en musique ? En trente ans de musique, je connais 7 accords (réflexion intense)... Non, cinq ! En fait, les musiciens m'emmerdent ». Nous aussi, triste acceptation de sa propre défaite.

Page 46. Story de Jeff Beck, dans ses plus beaux effets. Foulard en soie, permanente et couleur, l'ex Yarbirds affirme, vaille que vaille, que son truc « c'est le rockabilly ». Mué par les voix du St Esprit en disciple de Jacques Dessange, le pro des pédales rock désormais dans la semoule.

Page 50. Un très beau premier publi-rédactionnel pour les motos qui font vroum vroum sur fond de frottement de mains.

Page 65. Cette fois, c'est sûr, MGMT veut « changer le monde ».

Page 66. Magnifique encart promotionnel pour l'exposition de clichés des Stones -en partenariat avec R&F-, avec en supplément, un bonjour de la Société Générale qui rappelle qu'avec la carte So Music on peut acheter deux albums de Mick & Keith pour le prix d'un seul. Ou l'inverse. C'est jamais très clair, ces encarts promotionnels.

Page 79. Disque du mois : Hole. Entre attaques sournoises à Lady Gaga, phrases de haute volée (« le disque est à la hauteur de ses ambitions ») et namedropping de chansons pour montrer qu'on est aussi à la hauteur des bustiers, Busty prouve qu'elle est bien l'héritière de Philippe Garnier, Virginie Despentes et Saint Macloud.

Page 86. C'est l'explosion, le feu d'artifices, le summum, chaque mot devient un orgasme et chaque consonne une goute de sperme qui éclabousse le papier satiné. Sur le (presque bon, j'avoue) album de Camélia Jordana : « Une nouvelle génération incluant BB Brunes, Julien Doré, Arnaud Fleurant-Didier, Orelsan, Phoenix, Shades, Turzi, Zak Laughed, Mustang et Camélia Jordana piaffe d'impatience de prendre sa place. Il est temps ». Perdus sur une ile déserte, on donne environ 10 minutes aux groupes cités pour ressusciter le cannibalisme. « Ce soir, la tribu est réunifiée, que le meilleur gagne ».

Plus loin viendront, sans qu'on n'y fasse attention, un papier rétro-culte sur les débuts flambant du Zippo, des mauvaises nouvelles (Dennis Hopper crève d'un cancer), une autre chronique des marchands du temple (This is it en DVD, qui « plantent les deux yeux de Bambi dans ceux du spectateur », dixit Soligny. C'est toujours ça de moins pour les enfants), jusqu'à la page de fin, consacrée aux propos du Doctor Z et ses conseils pour rester fringuant dans un monde sans cowboys. Sous le couver d'un manifeste à l'usage des jeunes générations, le mystérieux inconnu dont le nom commence par Z narre une histoire de 1982 entremêlant les Clash, un A/R New-York Paris et quelques noms ensevelis par la poussière. Pendant ce temps, on se remémore de vieilles couvertures R&F pas si lointaines, de Kiss à Airbourne ; non, décidément, il est peu probable que ces couvertures soient payées par de grands annonceurs au goût sûr. Oxymore.

Après tant de chroniques cousues main, de broderies à l'effigie de Jean-Foutre et autres baragouinages sur le devenir du rock'n'roll quand on a plus de 40 ans, la logique aurait voulu qu'on trouve en page 133 (une page qui n'existe pas, of course) quelques mots sur un groupe d'aujourd'hui, bluffant et inconnu des lecteurs, donnant envie de cotiser encore de longues années avec les rides un peu mouillées. Ces groupes passés à la trappe, on pourrait en citer des dizaines (Kill for Total Peace, Koudlam, Hifiklub, Cerceuil, Cheveu, Paris, Dondolo, etc), mais aujourd'hui, c'est l'aventure de Service et de ces quatre garçons experts-comptables à mocassins servant le rock avec plus de bravoure que les minets à perfecto du 11ième arrondissement de Paris. Signé sur Pan European Recordings, l'un de ces rares labels français[5] à entreprendre autre chose que le macramé avec ses dix doigts, le groupe parisien se définit lui-même comme « the best band that ever existed. (...) Every track is a hit, each concert is an historical event, as important as the ww2 victory. the record industry is in a deep crisis. it will not last a long time with the first release of this rock'n'roll band ». Cynique et pas forcément faux (donc à moitié vrai), le discours de Service contraste avec celui des autres rockeurs faussement modestes et pourtant dénués de talent. Si l'histoire fera sans doute deux lignes dans les journaux, Service s'écoute comme une réponse raisonnable à la crise avec des concerts bien cotés en bourse, du rythme en monnaie d'échange et une poignée de chansons passionnantes parce qu'encore reléguées à l'état d'embryon. Résumons: Un look corporate à dévaler la Défense aux heures de pointe avec Can en trame de fond, toujours pas de premier album annoncé et peu de copinage avec le dur à cuire, ça promet une belle garde à vue chez la police du bon goût du premier magazine national de Rock'n'roll.

Dans l'excellente interview accordée par Marc Edouard Nabe à Philippe Manœuvre, on trouve le même mois une phrase qui pourrait résumer à elle seule l'histoire contemporaine du journal : « Le rock est un sous-genre ». Pas étonnant donc, d'y trouver désormais des sous-fifres, des gens capables de mouiller le maillot le dimanche entre 22 et 23H avec une clope au bec avec un bio du groupe calée sous le cendrier à demi-plein. On n'est de toute façon plus à ça près, dans un monde qui voit tout de loin, mais cette presse pour nababs est désormais aussi visionnaire qu'une paire de couilles en guise de Ray-Ban, portées bas du front pour lustrer le capot d'un genre qui n'existe plus. J'arrête ici, cet article se transforme lentement en lettre type du courrier des lecteurs. Et grâce à la tribune des Pork-critics, pas sûr qu'ils atteignent la retraite en ayant compris quelque chose au nouveau siècle.

http://www.myspace.com/daservice


[1] N°513, parution avril 2010. Que les retardataires se rassurent, chaque numéro de R&F reproduit, tel une photocopieuse du siècle dernier, les mêmes inepties tous les mois sur à peu près tous les sujets. Tous les exemples cités dans cet article peuvent donc être aisément être remplacé par d'autres noms occultes, sur le retour ou à l'inverse surmédiatisés et encensés à grands coups de langues lèche-chéquiers.

[2] Note aux néophytes : Dr Feelgood a commencé sa carrière en 1975 puis siroté lentement sa notoriété jusqu'en 1985, soit dix ans d'une carrière à vous pousser vers les alcooliques anonymes au bout du premier accord.

[3] Au point de mépriser son homologue contemporain, Wilco, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose, note to myself.

[4] L'une des incontestables qualités de Philippe Manœuvre. Bertrand Burgalat et bien d'autres délaissés peuvent en attester sans qu'on y voit rien à redire, bien au contraire.

[5] On citera en vrac : Born Bad, Tricatel, Asphalt Duchess, Bonus Tracks, etc...