Vers le clientélisme à grande échelle

Publié le 27 avril 2010 par Copeau @Contrepoints

Ce que vous lirez ici, vous ne le lirez que très peu ailleurs. Polygamie, burquas, rumeurs élyséennes, pignouferies constantes de la presse : les journalistes moyens (très moyens) sont bien trop occupés à relayer les clowneries des politiciens moyens (très très moyens) pour nous relater ce qui se passe en douce, à l'Assemblée. Et c'est donc dans la plus parfaite discrétion que les collectivités locales françaises sont en train de s'affranchir de tout contrôle financier.

Quand on commet un forfait, rien n'est plus nécessaire que la discrétion. Il n'est rien de plus idiot que de se faire gauler, en train de mettre à sac une banque aux coffres juteux, parce qu'on aura bêtement laissé sa radio branchée à fond sur une musique braillarde, histoire de donner du rythme à la perforation de coffres.

Cette fois-ci, ce n'est pas la radio qui a trahi les cambrioleurs à la petite semaine. Ce n'est pas non plus l'un de ces nombreux journalistes vigilants et citoyen, engagé et prompt à partir en flammes lorsqu'une veuve ou un orphelin se voient spoliés de leurs droits. Non. Trop occupés : il en va du droit inaliénable des Français à la polémique sur la burqua ou la fessée !

Ceux qui découvrent l'affaire ne sont pas les vigilants habituels.

C'est, d'un côté, un think-tank plutôt libéral, qui s'est scandalisé du passage d'une telle loi. De l'autre, il s'agit d'un haut fonctionnaire qui, malgré une certaine lucidité puisqu'il a dénoncé le vote d'une telle aberration, ne peut s'empêcher une certaine naïveté vis-à-vis de la politique (on y reviendra).

Mais avant d'aller plus loin, de quoi s'agit-il ?

Ce nouvel édifice élevé à la gloire du pillage des fonds publics par la caste politicienne est construit autour de la notion de Société Publique Locale. La loi est disponible in extenso ici.

Cette création juridique, société de droit privé dont une ou plusieurs collectivités publiques sont propriétaires à 100 %, permettra aux élus de ces collectivités locales d'exploiter « des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d'intérêt général », ce qui veut surtout dire placer pas mal de choses sous le giron connu du code du commerce.

Or, ce placement se traduit par une exemption des contrôles réguliers des chambres régionales des comptes. Cela veut aussi dire – détendez-vous, ce n'est que votre argent, après tout – que les règles de passation de marchés publics ne s'appliquent plus. Cela veut aussi dire qu'on peut abandonner le principe de séparation de l'ordonnateur et du payeur.

Mais ne vous inquiétez pas, messieurs dames : cette cascade a été minutieusement préparée par l'habituelle équipe de fins acrobates qui vous dirige depuis plus de trente ans ! Surtout, n'essayez pas cela chez vous, à la maison ! Cela pourrait entraîner des contrôles fiscaux et des faillites graves ! Comprenez bien que les exercices comptables qui vont suivre consisteront à cramer de grosses quantité de cash obtenues par la force, mais ces exercices ont été répétés de nombreuses fois !

Oui, rassurez-vous, il n'y a aucune espèce d'improvisation dans ce genre de pillage tranquille de notre économie et de nos petites économies. Il s'agit bel et bien de la suite logique de tout ce que vous avez déjà vu. Et l'apparente facilité avec laquelle nos artistes politiciens font passer la mesure et les entourloupes ne doit rien au hasard et tout à la longue préparation et l'excellente habitude qu'ils ont déployée des années durant : ce sont des pros, hyper-entraînés !

Ici, on peut applaudir.

Car le plus joli, c'est la prestidigitation forcenée qui va permettre, par le truchement cocasse de ces Société Publiques Locales, de transformer des dettes abyssales de collectivités territoriales en dettes abyssales d'entreprises privées, qui permettent ainsi de présenter des bilans publics reluisants.

Du Copperfield comptable à l'échelle d'un pays. Génial.

En pratique, cette loi ahurissante aboutit ni plus ni moins qu'à la suppression complète de toute forme de concurrence entre les entreprises privées pour la passation d'un marché public, ce qui revient à ériger en norme le favoritisme et le clientélisme.

On trouvera dans le texte de Marianne2 un certain nombre d'éclaircissements à ce sujet. L'auteur, un haut fonctionnaire, fait donc ici oeuvre utile en dénonçant ouvertement le passage officiel en mode Bananeraie de tout un pan de la République ; on peut cependant sourire devant sa naïveté lorsqu'il souligne ceci :

« Les ultra-libéraux y verront le moyen de détricoter un peu plus le statut de la fonction publique locale – dans la passivité totale des syndicats. »

Je passe sur l'expression « les ultra-libéraux » en carton qui donne une bonne idée de toute la culture politique de notre « haut » fonctionnaire, pour m'attarder sur le constat de passivité des syndicats : ceux-ci étant notoirement impliqués dans les collectivités locales, on comprend qu'avec cette notion de Société Publique Locale, ils trouveront ici moult marronniers pour venir y placer leurs copains ou, plus prosaïquement, récupérer les fonds qui risqueraient de leur manquer si, par exemple, on venait à leur imposer la publication de leurs comptes…

Pas fous, ils ont donc tout intérêt à laisser passer une telle loi.

Bref : tout indique clairement que cette nouvelle créature juridique a tout ce qu'il faut, là où il faut, pour faire vibrer l'élu. Véritable viagra juridique pour une classe politique en mal de corruption légale, on sent que cette loi va offrir toute une panoplie réjouissante de gabegies, de collusions, de copinages et de petits arrangements entre amis politiques à côté desquels les Républiques les plus pourries d'Afrique ou d'Asie, les organisations mafieuses de Sicile ou les cartels colombiens auront l'air de fêtes de villages organisées par des petits artisans handicapés.

Evidemment, si l'on ajoute le fait étrange qu'une telle proposition de loi est restée totalement oubliée par la presse et les syndicats, qu'elle a été présentée et portée par des groupes parlementaires de socialistes et communistes de gauche, et acceptée, toujours aussi discrètement, par une majorité parlementaire des socialistes de droite et un gouvernement de clowns des deux bords, on comprend qu'en réalité, ici, tout le monde y trouve son compte.

Enfin, tout le monde … Tous ceux qui se trouvent du « bon côté » des sodomisations fiscales violentes que tout ceci va entraîner à moyen terme.

En temps de crise, il fallait bien ça.

Article repris avec l'aimable autorisation de son auteur.