La grande sauvagerie de Christophe Pradeau

Par Sylvie

Editions Verdier, 20010

Sélection Prix duLivre Inter 2010

De Christophe Pradeau, je vous avais déjà chroniqué son premier roman La souterraine; avec ce deuxième opus, Christophe Pradeau confirme son talent.

Son écriture précieuse, ses phrases proustiennes replace la littérature française d'aujourd'hui dans un écrin d'or. Langue surannée, longues phrases qui s'étendent sur des paragraphes entiers ; on citera bien sûr l'influence de Pierre Michon publié chez le même éditeur ; le même talent pour mythifier des lieux communs, des lieux de nos campagnes profondes, les lieux des vies minuscules.

Une vieille femme, une région, un lieu, des souvenirs d'enfance qui nous poursuivent toute une vie : voici le terreau de ce court roman de 150 pages.

Un personnage, Thérèse Gandalonie, jugez la poésie d'antan du nom. Un lieu , Saint-Léonard, une bourgade perdue du Limousin, près de la vallée de l'Auvezère. Au dessus de ce village, un roc surplombant la vallée, une lanterne des morts. "Concrétion géologique", elle servit autrefois de phare aux voyageurs.

Pendant toute son enfance, la petite fille a été comme happée, hypnotisée par cette lanterne, sans connaître sa signification ; elle savait que ce territoire était celui de "La grande sauvagerie", le royaume des broussailles, des forêts, des no mans land inhabités. Mais un jour elle y découvre une propriété abandonnée...

Des années plus tard, après avoir traversé l'Océan Atlantique, dans une bibliothèque américaine, elle découvre un vieux livre qui attire son attention ; le journal d'un peintre-voyageur, Jean-François, cousin de Rameau, qui a quitté Saint-Léonard, pour les grands espaces américains, le "wild", la "grande sauvagerie".

A partir de ce livre, elle va reconstituer l'histoire de la propriété de la Grande Sauvagerie.

Pradeau réalise une véritable mythologie des lieux. L'architecture semble parfois émaner directement de la terre, de la géologie (la lanterne est comparée à un stalagmite, une concrétion géologique). Mais la plupart du temps, le paysage est le fruit d'une opération mentale, celle de l'imagination et de l'archéologie de la mémoire ; il s'agit de fouiller au plus profond des strates de la mémoire, celle des individus, pour reconstituer l'histoire des lieux, ses contes et légendes. Car nous avons l'impression, tout comme la vieille narratrice, d'être assis au coin du feu et d'écouter les vieilles légendes qui ressurgissent.

Pradeau est un écrivain de la mémoire des lieux et des hommes mais aussi de l'espace. Bien que ses histoires s'enracinent dans un terroir précis, l'horizon s'ouvre vers de vastes inconnus ; il s'agit de trouver son propre chemin...qui nous fera peut-être revenir aux origines.

L'auteur voyage dans la sphère de l'espace-temps ; de même, le phrasé sinue, s'égare, randonne, voyage sur de longs chemins avant de mettre à jour le secret si bien gardé, la mémoire caché des lieux.

Du grand art.