Petites formes cousues : deux escabeaux et un dessinateur qui ne savait pas dessiner

Publié le 02 mai 2010 par Jérôme Delatour

Incontestablement, Eléonore Didier aura réussi son examen d'organisatrice de festival. Il y a eu du monde (malgré un horaire difficile, commençant en milieu d'après-midi), une animation inaccoutumée à Point Ephémère autour de la danse et des arts plastiques - car Eléonore a mis un point d'honneur, à juste titre, à les associer.

Le festival a pris fin lundi 26 avec deux performances qui ont l'escabeau pour point commun.

Betty Tchomanga et Romain Didier, Pour une durée indéterminée
(cl. Jérôme Delatour - Images de danse)

Betty Tchomanga (chorégraphe) et Romain Didier (musicien) sont jeunes, beaux et frais. Hélas, je n'ai absolument rien compris à leur Pour une durée indéterminée. Oh je sais, vous allez me dire qu'il n'est pas toujours nécessaire de comprendre, qu'il faut se laisser porter par son ressenti. Mais moi je suis ainsi fait que sans comprendre, ne serait-ce qu'un tout petit peu, je ne ressens rien. Allez, ils ne travaillent là-dessus que depuis un mois. Il y a un escabeau (pour faire plaisir à Eléonore Didier, voir plus loin ?), et une plante dessus qu'ils arrosent de temps en temps. L'eau dégouline par un petit trou fait dans le pot en plastique et dévale de marche en marche. Un genre de clepsydre, peut-être. Il y a des choses pendues au plafond, une fleur artificielle, l'étui de la clarinette de Romain Didier, et d'autres fausses fleurs répandues sur le sol. Au début, ils nous dévisagent (un classique de la danse contemporaine), se regardent un peu aussi. Ils nous font le coup du rouge à lèvres, bon. Délimitent * un territoire au rouge à lèvres, se roulent par-dessus, et autres choses de ce genre. Betty boxe la fleur, brandit l'étui comme une arme de guerre. Elle le fait avec une tension perceptible, la fierté d'un bras d'honneur. Lorsque elle et Romain nous laisseront deviner ce qu'ils veulent dire, cela pourrait devenir intéressant.

Betty Tchomanga et Romain Didier, Pour une durée indéterminée
(cl. Jérôme Delatour - Images de danse)


Désormais plus sévère qu'un temple dorique, revoilà le Laisservenir d'Eléonore Didier. Début : dans un silence presque parfait, une forme larvaire chemine des orteils vers un escabeau. Avancer à la force de l'orteil, c'est vouloir beaucoup. Il semble qu'Eléonore procède par épure et par assèchement, et que son cheminement la porte vers toujours plus d'abstraction. En faisant jouer ce solo par un homme, après l'avoir créé elle-même puis confié à d'autres femmes, Eléonore élague nos vieilles hypothèses, les miennes comme celles de Guy Degeorges ; et elle taille court. Mais je préfère me tromper encore mille fois plutôt que de jamais lui demander pourquoi, par exemple, cet escabeau (en fait, je crois bien que je mens : je lui ai certainement déjà demandé, mais j'ai oublié sa réponse). Que reste-t-il ? La pose-pause, l'étirement du temps, la géométrie quadridimensionnelle, dans le temps et dans l'espace, par conséquent cosmique ; l'escabeau compas, l'interpénétration du corps humain avec cette géométrie, la balance. Guy Degeorges voudrait deviner du butô. S'il a raison, c'est du butô pensé par Léonard de Vinci.

Vincent Thomasset, Maximilien Luce

En fil rouge de toute cette semaine performative, il y avait Vincent Thomasset. Vincent Thomasset est performeur. L'an dernier, il a eu une idée maligne : copier des photographies d'identité, sans savoir autrement dessiner. Que croyez-vous qu'il arriva ? Petit à petit, il a appris, à dessiner, et à se faire un style. Portraits de célébrités ou d'inconnus, beaucoup sont véritablement bien sentis. Et, à travers ces nombreux dessins, on peut suivre la genèse d'un style, l'invention de trucs d'artiste, dont l'auteur avoue volontiers quelques-uns : par exemple, lassé de reproduire dans le détail des parties unies ou répétitives, il lui est venu l'idée de les remplacer par un aplat d'encre.


Le projet s'appelle IDon’tknow. Avec leurs grand yeux noirs emphatiques (ci-dessus), certains dessins rappellent Marie Laurencin ou les portraits du Fayoum. D'autres, authentiquement moches, comme le portrait de Bill Gates (ci-dessous), s'imposent pourtant très vite à l'esprit pour ne plus le quitter. Soyons honnêtes : ces dessins passent mieux en reproduction qu'en original, où les inégalités hasardeuses de flux d'encre ne s'avèrent pas très engageantes. Créer à partir d'un exercice de copie (oh, Vincent Thomasset n'est certainement pas le premier à y avoir songé, qu'importe), il suffisait d'y penser...

Vincent Thomasset, Bill Gates

Vincent Thomasset pense en série, ce qui convient bien au fond, et paradoxalement, à la nature de la photo d'identité, et permet bien des traits d'humour (ne manquez pas Céline Dion à quatre ans). Je ne sais pas s'il en a e déjà terminé une, ni s'il ne se lassera pas d'en faire d'autres ; car mine de rien, il passe bien une heure à chaque dessin. Avis aux galeries...

*Degeorgisme ;-)