Les pieds en compote

Publié le 06 mai 2010 par Jlhuss

Comment, mal parti, je ne suis pas arrivé…

J’arrête ici pour deux raisons :
Primo :  Une parodie, c’est toujours moins bien que l’original, mieux vaut donc ne pas aller plus loin.
Secundo :  Autant l’avouer tout de suite, ce pitoyable pastiche d’Oceano nox ,du regretté Victor Hugo, m’a été inspiré par la pénible expérience que je viens de vivre. A la fois, responsable et coupable de ce qui m’est arrivé, je vais en résumer le déroulement pour ma contrition  personnelle et l’édification de mes contemporains (qui, du coup, éviteront, peut-être, de commettre les mêmes erreurs).

Comme les mystères médiévaux, l’aventure s’est jouée en quatre journées, donc :

Première journée : étape Saint Astier –Mussidan 24 Km

Nous sommes le lundi  19 avril et Chambolle a décidé de parcourir la quinzaine d’étapes qui séparent Saint Jean Pied de Port (Pyrénées Atlantiques) de Saint-Astier (Dordogne).. Il quitte  gaiement cette dernière localité dans un petit matin à la fois clair et frais. La femme du boulanger (qui ne s’appelle pas Pomponette), lui a vendu pour la modique somme de 0,80 € une baguette croustillante et dorée qu’elle a eu l’obligeance de couper en deux. Avec le pâté Hénaff et le fromage fondu achetés la veille, voilà qui promet un pique-nique satisfaisant. Seule petite ombre au tableau, des différences qui sont loin d’être anecdotiques apparaissent rapidement entre le balisage et les indications de son guide . Rien de plus naturel, dans la précipitation du départ, le pèlerin s’est trompé. Il a laissé sur son bureau la version 2008 de cet ouvrage dont il trimballe une édition datant de 2004 laquelle est devenue, comme on dit, obsolète.
Heureusement, les coquilles jaunes sur fond bleu accompagnent sans faillir une marche que le remembrement rural, l’étroitesse de la vallée de l’Isle et  une rurbanisation galopante conduisent plus souvent sur le rude bitume des départementales que sur la terre plus ou moins souple des chemins forestiers. Comme la chaleur n’a rien de caniculaire, la chose est plutôt supportable. Quel dommage que, confondant vitesse et précipitation, Chambolle ait, ce matin, enfilé des chaussettes neuves qu’il avait négligé de passer à l’eau et qui, avec la collaboration de chaussures neuves, elles aussi, et très insuffisamment frayées se chargent de lui fabriquer deux très belles ampoules, une pour chaque petit orteil. Il n’en arrive pas moins en assez bon état place Victor Hugo  à Mussidan, au gîte tenu par une aimable hospitalière. Là moyennant un traitement à base de Compeed ®  il s’imagine que le jour suivant ne lui posera aucune difficulté.

Deuxième journée : étape Mussidan – Sainte Foy la Grande 35 Km

Sept heures et demie du matin : une brume du genre tenace s’est abattue sur la partie du Sud-Ouest qu’entend parcourir Chambolle. Il s’en félicite, fils de la plaine de la Saône et du Revermont Jurassien, il sait que le grand soleil ne lui vaut rien. Des balises régulières continuent d’accompagner une marche que ne ralentissent nullement des ampoules qu’une centaine de mètres a suffi à anesthésier. Comme la veille, également, la partie chemin de terre est réduite à presque rien. En récompense, les départementales et voies communales dont le pèlerin foule l’enrobé bi-couche d’un pas encore assuré sont remarquablement peu fréquentées (moyenne des rencontres : une voiture à l’heure). Quel dommage que, pressé de partir, Chambolle ait négligé de régler, comme il s’était promis de le faire en arrivant à Mussidan, les courroies de son sac. Il s’ensuit un léger déséquilibre qui, répété autant de fois qu’il pose un pied par terre, doit finir, c’est fatal, par avoir des conséquences.
Mais n’anticipons pas. Un tronc couché en bordure d’une des routes précitées se présente aux alentours de midi. Un examen du guide (assez fiable sur ce tronçon) montre au marcheur qu’il a légèrement dépassé les vingt kilomètres. Tout baigne ! Il s’installe, se déchausse et s’attaque au  pique-nique qui doit lui permettre d’étaler sans frémir les quinze derniers kilomètres. Ce moment de détente est un peu gâché par la présence insistante de fourmis pressées de compléter leurs provisions à l’aide des miettes tombant d’un sandwich aux rillettes de thon. Interrogées sur le taux auquel elles prêteraient, éventuellement, un peu de leur récolte à une cigale d’origine hellénique, ces avaricieuses bestioles répondent que la chose ne pourra se faire qu’à partir de 7% et encore, avec la garantie du FMI (Fonds Mutuel des Insectes). Ecoeuré par tant d’égoïsme, Chambolle secoue violemment la veste qui lui servait de repose-pieds et entreprend de se rechausser. La colère est mauvaise conseillère : il tire mal ses chaussettes lesquelles se vengeront bientôt de cet indigne traitement.
Nous n’en sommes pas là. Le soleil de midi est venu à bout de la brume, mais, par une heureuse coïncidence les huit kilomètres qui suivent se font en sous-bois et le pèlerin en conclut que, décidément, cette étape n’était pas aussi pénible qu’il le craignait. Lamentable erreur ! Que ne s’est-il rappelé le vieux proverbe arabe qui dit que « Le lion est à la sortie du défilé ». Au sortir de la forêt, le chemin débouche sur un paysage de vignobles assez dépourvu d’ombre. En même temps, le lacet de sa chaussure gauche se desserre progressivement. Bêtement, Chambolle refuse d’en tenir compte et attaque l’ultime partie de l’étape sans vider sa gourde ni relacer sa chaussure. Résultat, il se retrouve dans une descente très raide, farcie de racines et de pierres branlantes avec une chaussure gauche qui menace à chaque instant de l’abandonner pour aller vivre sa vie dans les broussailles circonvoisines. Encore plus bêtement, il ne s’arrête pas pour relacer la délinquante qu’il retient en crispant jambe et mollet tout le long du raidillon qui l’amène dans la vallée où il finit par arriver sans casse, du moins le croit-il.
Un gîte pèlerin très convenable, sis rue Elisée Reclus, l’accueille pour la nuit. Chambolle sourit (intérieurement) en pensant que les marcheurs de la foi se reposent sous l’égide de ce géographe anarchiste et libre-penseur.

Troisième journée Sainte Foy la Grande – Sainte Ferme 27 km

Chambolle est réveillé par un rayon de soleil, le chant des oiseaux et un soupçon de tiraillement au mollet gauche. Les premiers pas qu’il risque sur le carrelage du gîte confirme cette impression (pénible). A cela s’ajoute le picotement des ampoules dont le nombre a doublé (les chaussettes mal tirées). Cependant le pèlerin en a vu d’autres et quand il repart, lesté d’un petit déjeuner du genre confortable, sa démarche, sans être légère, est assurée. Il est d’ailleurs persuadé que, comme ce fut le cas  en d’autres occasions, ces petites douleurs finiront par disparaître. C’est effectivement ce qui se passe pour les ampoules. Elles se font assez vite oublier. Hélas, il n’en va pas de même pour ce satané mollet gauche qui, chaque fois que la route s’infléchit un tant soit peu dans le sens de la descente, se rappelle immédiatement au mauvais souvenir de son propriétaire lequel compense en s’appuyant sur la jambe droite. Moyennant quoi et comme les côtes l’emportent sur les pentes, il arrive à Pellegrue (coquet chef lieu de canton du département de la Gironde) à temps pour y déjeuner dans un honnête restaurant ouvrier. La sortie de cet établissement est difficile. Son mollet joint à la souplesse d’un barreau de chaise une agressivité incompréhensible source d’une douleur supportable mais répétée laquelle s’atténue fort heureusement dans l’ultime partie de l’étape qui, s’effectue dans le sens de la montée. Cet avantage est, partiellement, anéanti par une erreur de lecture de la carte qui ajoute deux kilomètres aux vingt cinq prévus.
Chambolle ne désespère pas. Il se répète (avec un peu moins de confiance que le matin) qu’il en a vu d’autres. Il visite donc d’un pas qu’il s’efforce de rendre nonchalant l’abbatiale bénédictine de Sainte Ferme avant de rejoindre le gîte pèlerin où il limite ses déplacements à des distances ne dépassant pas les trois mètres.
Un piéton en provenance de la région parisienne se charge d’animer la soirée. Il laisse entendre aux deux hospitaliers et à Chambolle qu’il a travaillé pour la République dans des services dont il est préférable de ne rien dire si on veut qu’ils restent secrets. Il ajoute que, reconverti dans la grande distribution, il en a vu des vertes et des encore moins mûres. Enfin il propose, pour rétablir la sécurité dans les quartiers difficiles, des mesures, expérimentées jadis au sud de la Méditerranée. A ce moment, l’hospitalier s’aperçoit qu’il est dix heures. Tout le monde au lit, Chambolle le premier qui s’endort en espérant que demain étant un autre jour, « ça ira mieux ».

Quatrième journée : Sainte Ferme – La Réole 20 km

Ça ne va pas mieux, c’est pire. Le mollet droit, mécontent du traitement qu’on lui a infligé la veille, a décidé de se joindre au mouvement de grève. Il mène, lui aussi, le juste combat lancé par le mollet gauche pour un meilleur traitement des muscles longs dans les jambes des bipèdes en route pour les Pyrénées. La tentative de la Direction de désamorcer le conflit à l’aide de massage au Musclor ®  et de pilules de Décontractyl ®   se sont soldées par un échec. Les travailleurs en lutte ont encore raidi leurs positions. Ils manifestent violemment leur mécontentement à chaque pas en avant. L’ultime provocation que constitue la longue descente d’arrivée porte le conflit à son paroxysme. Chambolle qui s’est assis trois quart d’heure à la table d’une pizzeria à cette fin d’y consommer un plat de tagliatelles à la bolognaise ne réussit à s’en extirper que très difficilement. Pour gagner la chambre d’hôte où il ambitionne de passer la nuit, il avance d’une façon si alerte  qu’un jeune plaisantin lui demande (avec l’accent local) si, par hasard, il n’aurait pas oublié son déambulateur. Une après-midi de méditation horizontale et immobile assortie de nouvelles tentatives médicamenteuses ne donne aucun résultat. On peut même dire, paraphrasant Coluche, que c’est plus mal que si c’était pire. Le soir, pour parcourir les cent cinquante mètres qui séparent sa chambre du restaurant où l’attend son dîner, il n’avance pas, il se traîne. Le lendemain matin la situation est, si possible, encore plus pénible.

Cinquième journée

La Faculté consultée a rendu son verdict. Impossible de soigner d’aussi redoutables contractures autrement que par un repos total. Le retour au point de départ s’impose. Une heure pour faire les deux kilomètres qui séparent la chambre de la gare de la Réole, trente minutes pour aller du quai du TGV au métro qui mène à Bercy, il y a des jours où on regrette sa bagnole. Enfin voilà Auxerre, sa cathédrale, son équipe de foot et ses taxis. Un de ces honnêtes artisans ramène, au pied de son immeuble, le claudicant pèlerin qui s’aperçoit à cet instant précis qu’il a perdu sa montre. Définitivement écoeuré Chambolle s’abat sur son lit et il attend que ça passe.

Quatre jours plus tard

C’est passé ! Mieux Madame Hessainecéeffe a retrouvé la montre perdue. Chambolle envisage de repartir mais, la prochaine fois :
-   Il mettra convenablement ses chaussettes
-   Il lacera ses chaussures comme il convient (ni trop, ni trop peu)
-   Il évitera de se lancer dans une trop longue étape dès le deuxième jour
-   Il s’alimentera mieux et il boira plus régulièrement
-   Il règlera son sac AVANT le départ….
Toutes précautions que, du haut d’une expérience acquise au fil des ans et des kilomètres, il conseille doctement aux néophytes et que, très bêtement, il a lui-même oublié de prendre : « L’amnésie ??? Une maladie dont le nom m’échappe ».

Chambolle 


NB  L’utilisation du ® est là pour montrer que, moi aussi, je sais me servir de toutes les touches de mon clavier.

Contes du Chemin de Saint-Jacques

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Les “marcheurs Icaunais ” n’ont pas de chance ! 

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La z’ique du jour :