L'ÉGYPTOLOGIE TCHÈQUE : VIII. L'INSTITUT ET LES FOUILLES D' ABOUSIR - 4. MIROSLAV VERNER ET OUDJAHORRESNET (Seconde partie)

Publié le 08 mai 2010 par Rl1948

     A l'extrême fin des années '80 donc, en 1989 pour être plus précis, aux confins sud-ouest de la concession d'Abousir,

l'égyptologue tchèque Miroslav Verner, à la tête des fouilles menées depuis plusieurs décennies sur tout le site par l'I.T.E., l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie, vient de découvrir la tombe d'un homme hors du commun : il s'agit de celle de cet Oudjahorresnet que, samedi dernier, nous avons, vous et moi, amis lecteurs, appris à quelque peu connaître.

     (Sur le dessin de Vladimir Bruna ci-dessus que j'ai photographié à la page 25 du catalogue de l'exposition Discovering the Land on the Nile [Objevovani zeme na Nilu] qui s'est tenue au Narodni Museum de Prague en 2008 pour commémorer le cinquantième anniversaire de la création de l'I.T.E., l'emplacement de cette tombe porte le numéro 9.)  

     Mes précédentes interventions à propos des découvertes tchèques en Abousir, souvenez-vous, vous ont permis de comprendre que cette vaste nécropole fut essentiellement, à tout le moins dans la partie nord du site, celle de certains souverains de la Vème dynastie, à l'Ancien Empire, dont la plupart des pyramides ne sont plus actuellement que monceaux de ruines ; ainsi que des mastabas, parfois impressionnants, des hauts fonctionnaires qui gravitaient dans l'entourage royal : c'était évidemment du temps où le pouvoir résidait à Memphis, capitale d'empire.

     J'avais ainsi plus spécifiquement attiré votre attention, le 27 mars, sur le mastaba de Ptahshepses (emplacement n° 1 ci-dessus), ainsi que, le 24 avril, sur la "Pyramide inachevée" de Rêneferef (emplacement n° 2.) 

     Quand Thèbes devint, bien après Memphis, elle aussi capitale pharaonique,  les nécropoles de Saqqarah, Abousir et de toute cette région du nord du pays furent délaissées au profit de la montagne thébaine, avec ses célèbres vallées des Rois, des Reines et des Nobles celant en leur sein nombre d'hypogées presque toujours richement décorés.

     Il fallut attendre ce que les égyptologues appellent la Basse Epoque, et plus spécifiquement les XXVIème et XXVIIème dynasties, à partir d'approximativement 664 avant notre ère, soit quelque mille sept cents ans plus tard, pour que, les vicissitudes de l'Histoire aidant, le site d'Abousir recouvrât une nouvelle aura, grâce à un petit cimetière situé un peu plus au sud-ouest des pyramides royales d'Ancien Empire et caractérisé par des tombes-puits, - ce que la littérature égyptologique anglophone nomme "Shaft Tombs"- , remises à l'honneur en ces temps saïto-perses : ce sont sur le plan ci-dessus les emplacements numérotés de 9 à 12.

     Remises à l'honneur puisque, vous ne l'ignorez probablement pas, c'est déjà tout au fond d'un semblable aménagement souterrain d'une trentaine de mètres sous le niveau du désert qu'entre autres, le premier souverain de l'Ancien Empire à se faire construire une pyramide, Djoser, à la IIIème dynastie, fut inhumé.

     Même si, longtemps aux yeux de certains savants, de semblables puits furent compris comme des réponses à des impératifs essentiellement pratiques - (recevoir par exemple les eaux torrentielles qui, parfois, se déversaient dans la Vallée des Rois) -, l'on sait actuellement, après les travaux pertinents de l'égyptologue allemand Friedrich Abitz au niveau des inscriptions qu'on y a parfois retrouvées, qu'ils ressortissent au domaine des mythes osiriens : dans la tombe de Ramsès II, par exemple, les textes considèrent très clairement le puits comme une métaphore du tombeau d'Osiris, c'est-à-dire le lieu de transformation de Pharaon en Osiris, partant, un lieu de résurrection.

     Et le Professeur Abitz de poursuivre sa démonstration en ajoutant que semblable cavité matérialisant l'endroit où le souverain prenait un nouveau départ vers sa vie dans l'Au-delà, pouvait être considérée comme étant "la matrice où, environné d'eau, l'enfant s'apprête à naître".  

     C'est en quelque sorte ce qu'expliquait déjà l'égyptologue française Madame Christiane Desroches Noblecourt dix ans auparavant quand à ce propos elle faisait allusion à l'environnement des milieux palustres des débuts de la cosmogonie égyptienne : par exemple, au niveau du Delta du Nil, à Bouto, ou à Chemmis, cette île mythique sur laquelle Isis se serait cachée avec son fils Horus pour tous deux échapper à la vindicte de Seth.

     Ce fut donc une de ces tombes-puits, au demeurant en fort mauvais état, celle du Médecin-chef de Haute et Basse-Egypte, Commandant de la marine royale, mais aussi Chancelier des rois perses Cambyse et Darius en tant que souverains sur le trône égyptien, Oudjahorresnet, qui plus particulièrement retint en 1989 l'attention de Miroslav Verner et de son équipe.

     La fouille de ce tombeau, le plus à l'ouest du cimetière saïto-perse, étant à présent terminée ; les résultats ayant fait l'objet d'une monographie publiée en 1999 par Ladislav Bares, un des égyptologues tchèques travaillant sous la direction de Miroslav Verner, ainsi que d'un article qu'il signa en novembre 2005 sur le site de l'I.T.E., 

nous savons que ce puits central d'une petite vingtaine de mètres de profondeur pour approximativement 5, 50 m. de côtés, rempli de sable très fin quand il fut mis au jour, faisait en fait partie, comme visible sur le tout premier cliché monochrome ci-avant, d'une superstructure constituée d'un mur d'enceinte en calcaire blanc ; comme l'étaient également les blocs de la chambre funéraire proprement dite : en fait, tout simplement un matériau que les ouvriers avaient trouvé sur place.

     Si l'ensemble du complexe funéraire comprenait des puits périphériques, c'est dans le principal donc que Verner découvrit le caveau, dont une des particularités résidait dans la présence de  trois ouvertures de forme conique pratiquées dans le pafond et encore obstruées par des poteries de terre cuite rouge manifestement destinées à retenir le sable fin comblant l'espace immédiatement au-dessus :

ce détail nous permet de comprendre que, les funérailles d'Oudjahorresnet à peine terminées,  il eût suffi de casser un morceau de ces céramiques de manière à permettre au sable entassé d'entièrement combler, en un certain laps de temps, la chambre funéraire elle-même ; et ainsi, en principe enfoui à jamais, le corps de ce haut dignitaire, n'eût jamais pu être trouvé ni profané. 

     Sur le sol de la chambre sépulcrale avait été déposé un  imposant sarcophage, en calcaire blanc lui aussi, en forme de coffre rectangulaire de 5, 10 m de long, 2, 90 de large et 3, 20 m de hauteur, couvercle d'1, 10 m d'épaisseur compris. L'ensemble était de finition relativement sommaire et seule une ligne de hiéroglyphes  courait sur tout le pourtour : grossièrement gravés, ils fournissaient tout à la fois les formules religieuses classiques, ainsi que les nom et titres du défunt. 

     Contenu à l'intérieur : un cercueil anthropomorphe en basalte,

soigneusement lissé et couvert quant à lui d'inscriptions conformes aux us funéraires du temps : textes religieux, figuration des divinités protectrices, à nouveau le nom et les différents titres d'Oudjahorresnet, ainsi que ceux de ses parents.

     L'imbrication de ces deux éléments aux fins de protéger la momie au maximum n'était évidemment pas le fruit du hasard ni du seul état social du défunt : placé au plus profond du complexe funéraire, tout sarcophage symbolisait le Noun, l'océan primordial d'où, aux temps premiers, sortit toute vie (voir à ce sujet l'article du 23 mars, ainsi que le judicieux commentaire d'Alain et la réponse afférente) ; et l'introduction dans ce sarcophage extérieur d'un cercueil contenant le corps proprement dit figurait métaphoriquement l'immersion nécessaire à toute résurrection. 

     Il ne fut pas long à Miroslav Verner et à ses hommes pour remarquer que des pillards s'étaient introduits dans le tombeau d'Oudjahorresnet : en effet, avaient été réparées et reconstruites déjà dans l'Antiquité les dalles massives du plafond d'un corridor horizontal permettant d'accéder à la chambre  funéraire par où, vraisemblablement, étaient passés ces premiers voleurs ; mais surtout, il était patent qu'ils s'étaient attaqués aux deux cercueils : un trou d'approximativement 40 x 28 cm endommageait en effet la partie inférieure du second d'entre eux, pourtant bien plus dur que le simple calcaire du premier ; trou manifestement réalisé par un feu qui attaqua la structure même du basalte.

     Mais espace qui n'était absolument pas suffisant pour permettre d'en retirer la momie ! Et bien qu'encore scellée, la bière était désespérément vide ...  

     Et là, Miroslav Verner prend conscience de ce que d'autres détails des fouilles viendront par la suite corroborer : la tombe-puits d'Oudjahorresnet pose bien plus de questions que, véritablement, elle n'en résout !

     Elle ne contint manifestement jamais de corps. Pour quelle(s) raison(s) ?

     Point de trace non plus des traditionnels vases-canopes abritant les viscères d'un défunt. Pour quelle(s) raison(s) ?

     Ce tombeau ne serait-il donc qu'un cénotaphe ? Pour quelle(s) raison(s) ?

     Les parois du caveau présentent des extraits des Textes des Pyramides qui, bien que fort abîmés, viennent néanmoins compléter et accréditer les connaissances que les égyptologues détenaient à propos de l'utilisation de semblables inscriptions à la Basse Epoque. 

     Toutefois, ces textes sont simplement peints en noir et non gravés en relief comme le voulait la tradition : cette décoration pariétale ne  fut donc  jamais achevée. Pour quelle(s) raison(s) ?

     Nonobstant le fait que la découverte dans la tombe de fragments de céramique datant des époques romaine, copte et même arabe prouve qu'elle fut, au moins jusqu'au Xème siècle de notre ère, l'objet d'indésirables "visites", le nombre d'objets encore présents mis au jour par la mission tchèque fut véritablement dérisoire : 5 statuettes funéraires (des oushebtis) de faïence verdâtre au nom d'Oudjahorresnet ; deux plaquettes de faïence miniatures, vraisemblablement de petites tables d'offrandes votives supportant de minuscules vases ; enfin quelques fragments de ce que les égyptologues appellent des briques magiques : généralement au nombre de quatre, en fonction des points cardinaux, ces petits blocs en argile crue gravée ou peinte d'une inscription magique et d'une amulette protectrice étaient, selon le chapitre 151 A du Livre pour sortir au jour (plus communément, mais erronément, appelé Livre des Morts) destinés, parce que placés dans une petite alcôve creusée dans chaque paroi de la chambre, à protéger la dernière demeure d'un défunt.

     Ces quelques rares vestiges constituaient-ils ce qui avait été préservé de l'équipement mortuaire d'Oudjahorresnet ou avait-il été initialement réduit à son plus strict minimum ? Pour quelle(s) raison(s) ?

     J'ai insisté tout à l'heure sur les poteries bouchant les trois ouvertures du plafond en signalant qu'elles avaient été retrouvées intactes par les fouilleurs : on n'avait donc pas cru bon de préserver, en les ensablant, les sarcophages pour l'éternité. Pour quelle(s) raison(s) ?

     En outre, alors que ses fonctions le liaient indubitablement à Saïs, la capitale dynastique sise dans le Delta occidental, Oudjahorresnet se fit inhumer à l'autre extrémité du pays : une tombe-puits ; à Abousir  ; et  isolée des complexes funéraires déjà existants. Pour quelle(s) raison(s) ?

     Et après lui, d'autres hauts fonctionnaires de cette époque plébiscitèrent ce même petit cimetière. Pour quelle(s) raison(s) ?

     Que de questions animaient encore l'esprit de Miroslav Verner au moment où il allait bientôt quitter ses fonctions à la tête de l'Institut tchèque d'égyptologie, mais pas la nécropole sur laquelle, à partir de 1991, il dirigerait officiellement les recherches en tant que Directeur de la Concession pour la Prospection d'Abousir.

     Me croirez-vous, amis lecteurs, si je vous confie que samedi prochain, je compte bien l'accompagner pour découvrir ce que la dernière décennie du précédent siècle lui a réservé comme nouvelles surprises archéologiques ?

     Et vous : serez-vous des nôtres ?

(Abitz : 1974, passim ; Desroches Noblecourt : 1963, 245 sqq ; Régen : 2010, 23 ; Vandersleyen : 1975, 151-7 ; Verner : 1989, 283-90 )