La manière Bowie / la manière Dylan

Publié le 18 mai 2010 par Hunterjones

Les Beatles ont pas mal créé le business de la musique pop. Ils ont révolutionné le sens de la présentation d'un groupe, la méthode de composition, l'intelligence mélodique, les explorations psychédéliques et la façon de vendre un quatuor à travers le monde et les époques. Elvis avant eux avait fait tomber quelques barrières au niveau du chanteur en solo, mais c'est surtout ces quatre garçons dans le vent qui ont inventé "la manière" de faire de la musique pop.
J'aimerais toutefois attirer l'attention sur deux autres artistes qui ont beaucoup innové sur la manière de distribuer la musique. Deux artistes dont je suis fan fini. Bowie & Dylan.


David Bowie connait le succès planétaire avec The Rise & Fall of Ziggy Stardust & the Spiders From Mars en 1972. 1973 est aussi une bonne année car les restants de cet album sont tout aussi bons sur la sortie de Aladdin Sane. Il sort aussi cette même année un album de reprises, Pins Ups. La tournée mondiale de 1974 qui produira un album en spectacle, un film et un autre disque, Diamond Dogs garde Bowie dans les palmarès. 1975, lui, est grandiose, car en enregistrant Young Americans, l'album, à Philadelphie, il fait mouche partout en Amérique et dans le coeur des jeunes. Young Americans, la chanson, est un hit majeur toute l'année. Bowie plonge dans la cocaïne et produit comme une machine. Il lance l'album Station to Station, sur lequel il est si intoxiqué qu'il n'a aucun souvenir de son enregistrement. Mais les preuves sont là, l'album existe et sa musique est toujours recherchée et en circulation.
Toutefois Bowie brûle la chandelle par les deux bouts. En 1976, il est à bout de nerf. Il étouffe.

À la fois pour se désintoxiquer (ça ne fonctionnera qu'à moitié), pour se retrouver musicalement et aussi pour tenter de se débarrasser de l'emprise du monde du show business, il se prend un appartement là où on le connait peu (Berlin), et, en compagnie d'Iggy Pop, il explore de nouvelles avenues musicales. Il compose et enregistre le premier album solo de Pop, compose et enregistre le sublime album Low avec Brian Eno & Iggy Pop et le tout aussi ravissant Heroes avec Eno & Robert Fripp.
Low parait en janvier 1977. The Idiot d'Iggy Pop, bien qu'enrtegistré en premier, parait en mars et Heroes en octobre de la même année.

"La manière Bowie" est née. Elle consiste à s'isoler afin de se ressourcer, mais surtout à oser se réinventer. L'album Low contient onze chansons. 6 instrumentales et parmi les 5 chantées, une dont les premières paroles arrivent vers la deuxième minute de la chanson et une autre d'1:51. Donc plutôt difficile à vendre aux radios, qui diffusent surtout des chansons entre trois et quatres minutes, souvent des plus longues. Là où il révolutionne la manière de vendre sa musique, c'est justement dans son envie certaine de ne PAS la mousser. Aucune publicité ne sera faite autour de Low. Il envoie les maquettes pour fin de production sans notes, sans préambule, sans explications sinon l'ordre des chansons et une photo pour la pochette. Il en oublie même de créditer les musiciens. Il tournera des vidéos bien plus tard et, peut-être involontairement, en ne sachant pas comment vendre son produit lui-même à sa maison de disque, il choisit de faire fi du marketing de son produit. Aucune chanson ne se démarque comme potentiel single. Il fait la même chose pour Heroes, se permettant tout juste un clip (linéaire) de la chanson titre, qui, de l'avis de plusieurs, est son immortelle chanson.

Et ça marche, les deux albums sont considérés comme des classiques. Depuis, des tonnes de musiciens ont imité la technique. Radiohead étant ceux qui ont le mieux réussi (et les plus connus), en faisant le relatif même parcours.  Trois albums pop qui sont de gros succès populaires (Pablo Honey, The Bends & Ok Computer). Puis la retraite dans un château (dit hanté) pour enregistrer des albums au son complètement différent et qui semblent vouloir se détacher du moule commercial traditionnel. Kid A et un an plus tard Amnesiac. Deux oeuvres sensationnelles pour les oreilles de mélomane.


Il pousse l'audace encore plus loin quand le 1er janvier 2007 le groupe sort, un jour férié, l'album double In Rainbows sur l'internet et demande à son public de payer ce qu'ils pensent que devrait coûter l'oeuvre. 80% des gens ne paieront rien.
La manière Dylan maintenant. La sienne est plus simple. C'est celle de l'album double au sommet de sa carrière. C'est un réflexe de boulimie artistique suivi de retrait public. En 1966, Bob Dylan est le plus grand chansonnier au monde. Épuisé par la vie de tournée qui depuis 1962 exige un rythme incessant, lui qui a mis sur le marché six albums en 4 ans, il met le paquet, et, inspiré par de nouvelles amours, compose 14 chansons pour sortir l'album double Blonde on Blonde.

Il se marie avec Sara Lownds et fait (supposément...) un gros accident de moto qui le gardera loin de tout engagement public, en retraite fermée, de mai 1966 à décembre 1967. L'album double devient l'incontournable de son oeuvre. La manière Dylan est née.
Les grands l'imitent. Les Beatles enregistrent leur album Blanc l'année suivante, The Who l'opéra rock Tommy en 1969 et l'opéra rock Quadrophenia en 1973, George Harrison sort un album double (triple ?) comme premier effort solo en 1970, Les Rolling Stones font d'Exil on Main Street un long chef-d'oeuvre en 1971, Le nouveau groupe d'Eric Clapton, Derek & The Dominoes, sort Layla en 1972, Led Zeppelin pond Physical Graffiti en 1975, Stevie Wonder Songs in the Key of Life en 1976, Pink Floyd, qui avait sorti Ummagumma en album double en 1969 sort dix ans plus tard The Wall en album double, The Clash a 36 chansons sur Sandinista!, qui sera un triple album en 1980.

Et tel que souligné plus haut, Radiohead en 2007 touche aussi à l'album double avec l'incroyable In Rainbows.
Tous de grands artistes, beaucoup de grands albums.
Les grands inventent leur manière.
Et font à leur manière.
Tant mieux pour nos oreilles.