La Fraternité selon Régis Debray

Publié le 27 mai 2010 par Rhubarbare

J’assistais hier soir à une conférence de Régis Debray à Cluny sur le thème de la Fraternité. Thème qui fonde son dernier ouvrage « le moment fraternité » paru en février 2009 dans lequel il se demande « comment, au royaume morcelé du moi-je, retrouver le sens et la force du nous, un nous durable faisant toujours référence à une sacralité, séculière ou révélée ».

Il reconnait la transcendance du message religieux qui fonde la plupart des cultures humaines, remplacées parfois par des religions séculières telles le Marxisme ou la République mais dont la durabilité semble nettement inférieure. Selon Régis Debray la notion même de fraternité est issue du catholicisme, sous une forme hautement subversive : tous les hommes frères sous le regard de Dieu, alors que jusque là la fraternité était délimitée par la famille, le clan, la tribu, le peuple. On passait d’un système de fraternité imposée à une fraternité choisie.

Cette fraternité choisie, Régis Debray avait pensé la trouver dans son engagement communiste allant jusqu’à son intervention bolivienne. Mais elle ne dura pas, le marxiste bolivien étant avant tout Bolivien et le marxiste français avant tout Français… De ceci il tire la conclusion que l’idée comme quoi une idée peut engendrer la fraternité est fausse.

La fraternité nait de conséquences : un envahisseur, une catastrophe naturelle. Elle existe dans l’action et survit difficilement à la disparition de sa cause première. Elle y arrive parfois quand même, par exemple dans les ordres religieux : les moines sont des « athlètes de la fraternité » car ils font perdurer depuis des siècles un mouvement qui était à l’origine un mouvement de résistance.

En France la fameuse Fraternité aux frontons des mairies date seulement de la révolution de 1848, et disparu bien sur comme Liberté et Egalité sous Vichy. Aujourd’hui, son existence est tout à fait virtuelle…Pour Régis Debray la fraternité implique l’existence d’une sacralité (quelque chose de commun et de central qui n’est pas remis en cause) et d’une différentiation entre le « nous » et le « eux ». Prenant l’exemple de l’Europe, le manque de conviction des Européens  et l’inexistence d’un réel sentiment de fraternité – par opposition aux Etats-Unis où la société repose sur la sacralité du « In God we trust » et la certitude de faire partie d’une sorte de « peuple élu » - est lié à l’incertitude des frontières, à l’impossibilité de savoir où se situe le « nous » et le « eux ». Mais il ne s’en inquiète pas outre mesure, les civilisations connaissent des hauts et des bas, actuellement nous vivons un « bas » sans idéologie autre que mercantile sous administration de gens sans envergure. Cela repartira un jour, et en attendant c’est à la société civile, aux associations de créer des poches de fraternité là où elles le peuvent.

Personnellement j’ai été moyennement convaincu par ce discours, j’espérais sans doute quelque chose de plus percutant vu le parcours de l’orateur. Au niveau conceptuel le triangle sacré – frontière – fraternité me parait intéressant, par opposition au triangle utilitaire – mobilité – individualisme par exemple. Il ne me reste plus qu’à lire l’un ou l’autre de ses ouvrages. 

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