Mon piano (Henri Michaux)

Par Arbrealettres


Mon piano

J’approche. Il est prêt.
Je souffre:

Il fait le chant.

J’apporte l’obsession,
la gêne,
l’oppression:

Il fait le chant

J’apporte la situation sans remède,
le vain déploiement des efforts,
le ratage de tout avec la mesquinerie,
les précautions emportées par le vent,
par le feu, par le feu, par le feu surtout:

Il fait le chant.

J’apporte l’inondation de sang,
le braiment des ânes contre la paix,
les camps, le travail forcé, la misère,
les emprisonnés de la famille, les choses à demi,
les amours à demi, les élans à demi et moins qu’à demi,
les vaches maigres, les hôpitaux,
les interrogatoires de police,
les lents mourants dans les bleds perdus,
les amers vivants, les foutus,
ceux qui dérivent avec moi sur la banquise folle:

Il fait le chant.

(Henri Michaux)