Retour sur les élections régionales de l’autre côté du Rhin

Publié le 31 mai 2010 par Delits

Les résultats des élections régionales en Rhé­nanie du Nord-Westphalie revêtaient une importance stratégique à plus d’un titre. Il s’agit en effet tout d’abord du Land le plus peuplé d’Al­lemagne (pesant près d’un quart de la population totale) et cette élection scrutin avait donc valeur de test au niveau national. De l’issue de ce scrutin dépendait également le rapport de force à la chambre haute, le Bundesrat, où An­gela Merkel ne disposait que d’une courte majorité pour faire passer ses réformes. Enfin, cette élection intervenait alors que le plan d’aide à la Grèce suscitait de vives op­positions. 33 % seulement des Allemands approuvaient le soutien financier dans le cadre de l’accord européen quand 57 % s’y opposaient (sondage Infrastest-Dimap).

Les réticences de la chancelière lors des négociations sur la crise grecque étaient d’ailleurs analysées par les ob­servateurs comme étant motivées par ce scrutin régional et la volonté de ne pas pénaliser la CDU. Avec 36,4 % des voix, cette dernière enregistre un échec cinglant en recul de plus de 10 points par rapport au précédent scrutin et son plus mauvais score historique dans ce Land. Le SPD recule plus modestement (-2 ,6 points à 34,5 %) mais atteint son plus bas niveau depuis 1954. Dans cette ré­gion industrielle de la Ruhr, qui fut longtemps un bastion inexpugnable de la gauche allemande, les sociaux-démo­crates connaissent ainsi un recul constant et préoccu­pant depuis 1985.

Historique des résultats des élections régionales des 2 principaux partis en Rhénanie du Nord-Westphalie

Les deux principaux partis sont donc au coude à coude, aucun d’entre eux ne prenant l’ascendant sur l’autre. Et leur recul profite aux petites formations. Les Verts atteignent leur meilleur score historique ; die Linke, le parti de la gauche, franchit la barre des 5 % et pénètre ainsi au Parlement régional (siégeant donc désormais dans 13 des 16 Länder) ; le FDP, formation libérale al­liée à la CDU au plan national comme dans la majorité sortante en Rhénanie du Nord Westphalie, progressant faiblement.

Score des élections régionales par parti 2005 & 2010 en Rhénanie du Nord-Westpahlie


Si les évolutions sont fortes (notamment pour la CDU), la géo­graphie électorale n’est guère modifiée. Les chrétiens-démocrates dominent toujours très largement dans leurs fiefs catholiques de Westphalie et de Sauerland : 51,7 % dans la circonscription de Paderborn II, 51,1 % à Olpe ou bien encore 49,3 % dans la cir­conscription de Coesfeld I. Face à ces zones de force noires (la couleur de la CDU), le SPD s’appuie sur ses fiefs rouges de la Ruhr industrielle : 51,7 % dans la circonscription d’Unna III, 48,5 % à Gelsenkirchen et 47,9 % à Recklinghausen par exemple. Cette permanence de la carte électorale coïncide avec la tonalité très régionale de cette élection. Alors que ce scrutin faisait figure de test national, il apparaît que la dimension locale a pesé bien davantage (55 %) que la dimension nationale : seuls 41 % des électeurs ayant tenu compte de la situation politique allemande au moment de voter (sondage Forschungsgruppe Walhen). Cette forte prédo­minance du local s’explique notamment par la nature fédérale du système politique allemand et l’importance des prérogatives dévo­lues aux Länder. Ainsi, dans la hiérarchie des sujets ayant influé sur le vote, l’avenir du système éducatif (78 %) se place loin devant la crise grecque avec néanmoins 56 % de citations. On notera à ce sujet que seuls 46 % des électeurs de Rhénanie du Nord Westpha­lie, contre 42 %, approuvent la politique du gouvernement sur ce dossier, dont 69 % des sympathisants de la CDU mais seulement 58 % des soutiens de l’orthodoxe et libéral allié du FDP. Tandis que les affaires de financement de la CDU locale ont préoccupé 38% des électeurs.

Par ailleurs, la crédibilité des deux principales formations politiques et l’image des deux têtes de listes ont fortement induit les rapports de force issus de cette élection. Si les chrétiens-démocrates s’imposent classiquement sur leur do­maine de prédilection que sont l’économie et les finances, le SPD les devance beaucoup plus largement dans le domaine du social, sujet hautement sensible en période de crise mais aussi sur l’éducation, l’emploi offrant un court avantage à la CDU. Mais sur ces deux derniers thèmes, la formation d’Angela Merkel, pourtant aux responsabilités dans ce Land, recule très fortement par rapport à 2005 (son bilan étant donc assez fortement remis en question) avec respectivement -14 et -7 points quand dans le même temps les sociaux-démocrates regagnaient du terrain (+6 et +9 points) sans vraiment creuser l’écart.

Le parti le plus crédible

sur différentes thématiques

Cette forte concurrence et l’absence d’un avantage décisif pour l’un ou l’autre des camps se retrouvent également en ce qui concerne l’image des têtes de liste. Le sortant Jürgen Rüttgers apparaît certes avoir une meilleure maîtrise des grands dossiers, Hannelore Kraft, sa rivale du SPD, semblait plus proche des gens et plus sympa­thique. Au final, 43 % des électeurs souhaitaient la voir accéder au poste de Ministre-Président du Land contre 40 % pour Rüttgers.

Cette défaite des chrétiens-démocrates s’est jouée notamment parmi les ouvriers (-12 points par rapport à 2005), catégorie importante dans cette région et qui a voté à 44 % pour le SPD. Ce parti domine ainsi dans cette catégorie (26 % pour la CDU) mais y subit aussi sur sa gauche la concurrence de die Linke (8 % et 17 % parmi les chômeurs). Les deux principaux partis sont à égalité parmi les employés : 34 % pour le SPD contre 35 % pour la CDU qui

prend, toutefois, l’ascendant chez les fonctionnaires (39 % contre 32 %) et assez naturellement parmi les indépendants et dirigeants d’entre­prise : 43 % contre 18 % pour le SPD, 15 % pour les Grünen et 13 % pour le FDP. En termes de classes d’âge, l’assise des chrétiens-démocrates mais aussi du SPD est d’abord assurée par les plus de 60 ans qui ont voté à 44 % pour la CDU et à 39 % pour le SPD contre 24 % pour la CDU (soit 20 points d’écarts avec le vote des seniors) chez les moins de 30 ans et 29 % pour le SPD. Parmi les jeunes électeurs, la cote des partis traditionnels s’érode donc fortement au profit des Grünen (17 %) mais aussi d’autres petits partis comme la liste « des Pirates » qui recueille 6 % de leurs voix.

Au terme de ce scrutin, la CDU ressort affaiblie et ne dispose plus de la majorité au Bundes­rat. Mais si la crise grecque a pu jouer un rôle dans cette défaite, cette élection s’est d’abord jouée sur des consi­dérations locales et le SPD n’est pas parvenu dans ce contexte à stopper son déclin dans ce fief historique. La tendance est donc plutôt à la montée en puissance d’autres formations politiques (notamment chez les plus jeunes) qui, si elles renvoient dos à dos les deux princi­paux partis, devraient néanmoins jouer un rôle clé dans le cadre de la formation de majorités régionales.

Jérôme Fourquet

Directeur Adjoint

Département  Opinion et Stratégies d’Entreprise.

Ifop

Mai 2010